Escalade trad dans les gorges du Verdon : Ula
ESCALADE TRAD GORGES DU VERDON. La plus belle fissure des gorges Verdon à parcourir en mode traditionnel dans un niveau 6a/6b : c’est certain ! Ula est une voie ouverte en mai 1972 par deux grimpeurs marseillais Bernard Bouscasse et Marius Coquillat. La voie suit une fissure qui raie la grande falaise de l’Escalès sur 220 mètres ce qui en fait l’une des plus longues fissures des gorges avec sa voisine La Demande ouverte en 1968. « Ula » n’a rien à voir un 3615 mais c’est le nom de la chienne qui a raccompagné les 2 grimpeurs à l’arrière d’une 2CV alors qu’ils retournaient à Marseille après l’ouverture de la fissure en mai 1972. Après une période où la voie a été équipée à demeure dans les années 90 et 2000, Ula se parcourt désormais intégralement sur coinceurs depuis son déséquipement en 2011 par un inconnu.
Photo : Élise arrive tout sourire au relais dans Ula dans les gorges du Verdon
Très semblable à la fissure voisine de droite qui raie la falaise de l’Escalès La Demande, Ula est cependant plus soutenue. Si la Demande est dans le niveau 5c/6a, Ula est dans un niveau 6a/6b. La grosse différence entre les 2 voies réside maintenant dans l’équipement à demeure dans les voies. Alors que la Demande est partiellement équipée, dans Ula, seuls les relais sont équipés à demeure. Suite à son ouverture sur pitons et coinceurs, Ula a été équipée à demeure avec des pitons et des plaquettes dans les années 80, son parcours nécessitait pourtant l’utilisation de coinceurs. Un ré-équipement au début des années 90 sur plaquettes avait rajouté des points d’assurage, ce qui rendait la voie engagée mais réalisable avec quelques gros coinceurs pour le moral.
Récemment, elle a été déséquipée en juin 2011 par un ou des inconnus. Les relais ont été conservés mais depuis il n’y a plus aucun point d’assurage dans les longueurs excepté à 2 endroits où d’autres voies croisent la fissure. Ce sont 220 mètres de fissure qui vous attendent à protéger avec coinceurs et sangles. Pour information, le matériel à l’ouverture décrit dans le livre les Fous du Verdon de Bernard Vaucher était composé de 20 pitons variés dont 3 bongs et 2 coinceurs antiques et le premier topo stipule des cotations ne dépassant pas V/V+.
Ula : 220 mètres de fissure à protéger entièrement sur coinceurs
Octobre 2019, après quelques jours pluvieux passés dans les fissures d’Annot avec un groupe de stagiaires bien sympathiques, me voici avec les rescapés Elise et Guilhem à la Palud sur Verdon pour en découdre avec nos coinceurs dans des fissures calcaires, si différentes par leur forme irrégulière des fissures franches des grès d’Annot. Naturellement, nous prenons la direction de Ula, un vieux projet pour moi en trad avec des stagiaires et un vieux projet tout court puisque j’avais parcouru la voie sur spits en 1997 et que depuis son déséquipement je voulais la refaire. Après une voie Faudou de chauffe à l’Eycharme « Des Trous de première classe » sur du très beau rocher gris mouillé la veille, nous avons pris l’option de parcourir uniquement la partie supérieure en fissure de Ula.
C’est le premier jour de grand beau temps après 5 jours de pluie. Nous avons réalisé l’accès en rappel dans les dalles grises puis en traversant le jardin des Écureuils. C’est une approche bucolique qui permet de découvrir seuls de bon matin les voies mythiques en fissure du jardin : les Barjots et le pilier des Écureuils. Cette traversée du jardin se finit par un petit parcours montagne avec 2 rappels. Nous arrivons au pied de notre objectif du jour où une large vire permet de se préparer tranquillement.
C’est parti pour 220 mètres de fissure à protéger sur coinceurs ! La première longueur met direct dans l’ambiance : 40 mètres de fissure raide dans des tailles variées avec 2 passages de petits surplombs. C’est très beau et ça protège bien. Nous avons choisi de grimper avec un sac chacun et une corde de hissage permet de délester les seconds de leur sac dans les longueurs raides de la voie.
La seconde longueur, après un départ intense et pas forcément facile à protéger, alterne grimpe intérieure et grimpe extérieure pour finir dans une partie plus facile. Elise arrive ravie au relais.
La troisième longueur est le clou de la voie : 35 mètres de fissure raide avec tous les coincements qui vont bien et un super rocher ! Inclassable ! On arrive à un relais suspendu dans la fissure très inconfortable à 3. L’ambiance dans cette partie de la voie est superbe. Gazeux, rocher gris à gauche et à droite. Dommage qu’une nouvelle voie avec d’horribles plaquettes de 12 mm brillantes sur la droite gâche un peu l’ambiance…
La quatrième longueur part dans une offwidth pas forcément facile et continue dans une fissure raide. Pas facile du tout pour du 6a ! Je tire un coinceur dans le haut… Bouh ! On arrive au relais bien confortable sous les yeux du masque. Ce dernier n’a pas bougé depuis 20 ans ! Sa signification ? Aucune idée !
Le départ de la cinquième est juste incroyable : après avoir cravaté une grosse concression qui commence à souffrir de se faire cravater, c’est parti pour 5 mètres de runout, on avance sans protection, jusqu’à l’arbre. La suite est de la grimpe moderne bien raide voire déversante sur bacs et bonnes prises avant de déboucher dans du gris. Encore quelques mètres et le relais se trouve à gauche sous la belle fissure jaune. Il est 16h30 et la voie passe à l’ombre.
La sixième longueur est courte, facile à protéger et très classe. Ça se calme dans la difficulté et l’ambiance est moins austère. On grimpe dans du beau rocher et ça fait bien plaisir ! Les genévriers nous font de l’œil un peu plus haut.
Pour finir en douceur, la dernière longueur propose un peu de dalle, un passage de surplomb puis après avoir remonté le grand dièdre, on sort sur le plateau par une petite traversée pêchue vers la droite. SUMMIT ! Nous bouclons l’ascension à 3 en 6h30, bien mieux que ma dernière prestation de la demande en 13 heures ! 🙂
En résumé : Ula reste une belle entreprise en escalade trad avec des longueurs longues et continues qui demandent de l’endurance (surtout les 3, 4 et et 5ème) et des placements de protections nombreux et évidents sauf au départ de la 5ème longueur. Un enchaînement à vue de toutes les longueurs est largement faisable pour un grimpeur à l’aise dans le 6b trad qui a l’habitude de « coincer ». En matériel, emporter un petit jeu de bicoins et un double rack de camalot jusqu’au #4 en triplant les numéros #2 à #4 pour le confort, le numéro #5 est inutile. Une voie à faire absolument par tous les amoureux de liberté, de beau rocher et de belles aventures !
L’escalade traditionnelle : l’avenir du Verdon
INCROYABLE ! Arrivés sur le plateau on se dit que ce type d’escalade est suffisamment rare pour être apprécié pleinement. Grimper Ula dans son état originel (ou presque) est une source de joie. Dans cette vision moderne du terrain d’aventure, ce qui importe avant tout c’est la grimpe sans être obnubilé par la sécurité et la peur de la chute sur un mauvais coinceur au-dessus d’une mauvaise vire. Dans Ula, à part à un endroit, la pose de coinceurs est aisée et une chute serait sans conséquence. Conserver les relais permet de ne pas avoir recours au pitonnage et permet d’avoir une sécurité accrue, je pense notamment aux départs de la 2ème et 5ème longueur où le risque de chute facteur 2 ou presque existe. Ça permet également de prendre un peu moins de matos. Pour moi, ne pas avoir recours à de l’équipement en place dans une voie correspond bien à notre époque. Le trad c’est avoir le choix de mettre plus ou moins de matériel, d’engager ou pas, sans se soucier du prochain spit (il n’y en a pas). La liberté en quelque sorte. Et Ula s’y prête vraiment bien. Au lieu de suivre les points, suivez la fissure.
Les détracteurs de cette pratique pourraient narguer qu’il faut être riche. C’est vrai, même si le matériel de trad tend à être moins cher ces dernières années et que plus on est nombreux, plus on rit et plus on a de coinceurs.
On appréciera d’autant plus avec le recul les commentaires du forum CamptoCamp sur le déséquipement et celui de Bruno Potié sur le site Promogrimpe… Quelle sera la prochaine ? Luna Bong ?
Et pour finir : un petit texte personnel sur la ULA
ULA : 3 letttres qui évoquent pour moi l’adolescence lorsqu’on avait gravi pour la première fois avec Willy cette voie mythique du Verdon en 1997…
Aujourd’hui j’y suis retourné avec Élise et Guilhem. Le matos de sécu a changé depuis, l’équipement en place a en partie disparu grâce à un inconnu ???. Les 10 dégaines et les 2 gros « friends » bleus des 90s font donc place à présent à presque 20 coinceurs à cames light pour assurer sa progression ! Il faut à présent être un grimpeur de « trad » pour escalader cette voie et ça n’a rien de traditionnel, c’est même plutôt l’avenir, la preuve !
Aujourd’hui je ne suis pas tombé dans le premier 6a en fissure comme en 1997 où j’avais fait une longue chute la tête en bas en contemplant le Verdon, à cette époque pas de corde de hissage ultralight et le leader portait un sac, le retournement était assuré en cas de longue chute. Toutes ces années de pratique de l’escalade en fissure ont du aussi être bénéfiques 🙂 Car ULA est une fissure, une des plus belles des gorges du Verdon car une des plus longues et régulières, de la largeur d’une main sur plus de 200 mètres ! Ça n’empêche pas de se faire manger sur quelques passages (on appelle ça dans le jargon « off-width », ça rime presque avec « sandwich »)
Aujourd’hui j’ai fait un gros rewind sur mon passé et me suis posé ces questions : pourquoi ? pourquoi s’élever en ces lieux où seuls les vautours fauves planant tranquillement au-dessus de nous semblent à l’aise ? Pourquoi suivre ces fissures vers le ciel (ndlr : merci Élise pour la formule) qui occasionnent tant de souffrance au corps ? Du relais j’ai eu ma réponse : pour la beauté et la joie de contempler le Verdon gonflé par les pluies des derniers jours qui coule 300 mètres sous nos pieds depuis notre belvédère particulier, pour l’aventure, certains diront le risque, lorsqu’on part dans une longueur avec une seule idée en tête « arriver au relais », coûte que coûte. Parce que longueur après longueur de corde on se rapproche du but, de « notre » but, celui de déboucher sur le plateau sommital et de voir une autre vue : les montagnes du Haut-Verdon et le village de Rougon, comme une nouvelle vie qui commence, celle de la marche paisible sur du plat jusqu’à la voiture qui nous ramènera en 5 minutes à la terrasse de Lou Cafetié à la Palud où on refait le monde avec les autres cordées de grimpeurs. Après le traditionnel « vous avez grimpé où ? » commence une série de rencontres qui vous mènent au sommet du Fitz Roy en Patagonie et les forêts à ours du grand nord canadien en passant par les Contamines-Montjoie. Parce que j’ai compris aujourd’hui que l’escalade est un éternel recommencement, une découverte permanente de la nature, de soi et des autres. Un pas vers l’infini.
Aujourd’hui le bonheur tenait en 3 lettres ❤️
Eric CHAXEL
Quelques photos de l’époque où la voie était encore « équipée » en 1997 :
Quelques liens :