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Ouverture : questions autour de l’entretien et du rééquipement des falaises

ESCALADE SPORTIVE EN FALAISE. De nombreuses falaises sont équipées à demeure pour l’escalade sportive mais que ce passe-t-il quand l’ouvreur qui a réalisé cet équipement n’est plus là pour entretenir ? Élaguer les branches sur le chemin d’approche, couper les ronces qui font leur apparition au pied des voies, purger les prises qui deviennent fragiles avec l’action du gel et du dégel chaque année, changer le matériel métallique en place défectueux, changer les mains-courantes dans les passages exposés sur l’accès et en bas de falaise. Toutes ces actions sont importantes pour améliorer la sécurité sur un site d’escalade, je parle d’améliorer car on le verra, malgré toute la bonne volonté de l’ouvreur, des risques persistent.

La question de l’entretien des falaises se pose. Le 12 mars 2021 est le premier anniversaire de la disparition accidentelle de Jean-Michel Cambon, ouvreur très actif depuis les années 70 et membre du club Escalade Club de l’Isère (ECI). Depuis un an, sa famille et ses proches entretiennent la flamme en mettant à jour la publication de ses topos qui pourront dégager des revenus pour l’entretien des voies qu’il a équipées.

dessin paru le 14 mars 2021 sur la page facebook des ouvrages de Jean-Michel Cambon (dessin : CAM , source facebook)

Si l’initiative de garantir l’entretien des voies est louable, l’entretien et le rééquipement posent la question de la sacrosainte antériorité de l’ouverture. Lorsque un ouvreur nettoie et équipe une voie, dans le langage commun de l’escalade, elle devient « sa voie ». En résumé : « Pas touche à ma voie ! » Si on parle d’escalade sportive sur des voies équipées à demeure, pour réaliser des entretiens et des améliorations (ndlr : une amélioration est souvent une mise aux normes de sécurité actuelles de la voie), il est de bon ton de demander l’autorisation de l’ouvreur. On parle d’autorisation car il y a un concept implicite de propriété intellectuelle qui existe dans l’ouverture. C’est ce concept de propriété intellectuelle qui peut poser problème en cas d’entretien.

Si on se trouve devant une voie équipée de telle manière qu’un passage engagé est exposé, avec un risque de retour sur vire en cas de chute, que faire ? Rajouter des points et supprimer l’exposition ? Dans la tête d’un puriste, ajouter des points conduirait à dénaturer la voie. Difficile dans ce cas de parler d’entretien si c’est pour mettre à jour l’équipement aux normes en laissant des passages exposés. En cas d’accident dans ce passage, qui sera responsable ? Le grimpeur qui a mésestimé son niveau technique ou a simplement commis une faute ou l’équipeur qui a permis l’accès au passage grâce à de l’équipement laissé en place? Les avis seront souvent clivés sur cette question.

Bien sûr cette question n’est pas nouvelle. On se rappelle des conflits à Buoux (Pilier de Gueule Fermée PGF) et dans le Verdon (le triomphe d’Eros) dans les années 70 entre les grimpeurs pour ou contre l’équipement à demeure des voies pour la pratique de l’escalade sportive dite « libre ».

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Le triomphe d’Eros dans le Verdon, une voie ouverte et équipée par J.C. Droyer et Gilles Gaby dans le Verdon en 1974. Libérée en 1977, la voie est équipée de spits dans les passages difficiles pour permettre le passage en libre. La voie est balisée à la peinture en « GR 69 » en 1978 par 4 autres grimpeurs Gorgean, Nosley, Keller et Pepsi pour notifier à l’ouvreur leur désaccord avec l’équipement… Les marques de peintures sont toujours visibles de nos jours ! Photo et infos tirées du livre de Bernard Vaucher « les fous du Verdon ».

Au final, les falaises appartiennent à tout le monde

Et si on tournait l’énoncé du problème à l’envers. L’ouvreur en plaçant du matériel à demeure permet l’accès à un itinéraire à d’autres grimpeurs. Il s’accapare donc, intellectuellement seulement, un morceau de caillou où il fait régner sa loi : ça passe comme ça avec tel équipement.

Si l’escalade en fissure (trad) permet de placer ses protections où on veut, les difficultés de l’escalade sportive en libre sont très liées à la présence ou non de points d’assurage dans un passage. Un équipement éloigné rajoute une dimension mentale importante et un équipement mal placé implique des efforts supplémentaires pour clipper, surtout si on pratique le « à vue ». En écrivant ça, je me vois déjà pester contre un point trop haut pour clipper en décontraction ou l’inverse en plein pas de bloc.

D’où la question brulante : qu’est-ce qui empêcherait à quiconque de modifier l’équipement d’une voie ? Après tout, les falaises appartiennent à tout le monde, ou presque, car il y a toujours un propriétaire privé en France que ce soit un individu, une personne morale, une collectivité ou l’État.

Il ne faut pas perdre également de vue qu’équiper une falaise pour l’escalade sportive modifie les écosystèmes sur le site : le brossage et le parcours des voies suppriment la végétation, purger des écailles privent les chauve-souris d’habitats et grimper sur une falaise peut empêcher la nidification de certaines espèces ou restreindre leur périmètre de chasse. Affirmer que l’escalade sportive n’a aucun impact sur les écosystèmes est faux, en revanche ces impacts peuvent être limités et soutenables.

Voici un film à voir pour découvrir une l’éthique « hard grit » de l’escalade outre-Manche, pas besoin d’équipement pour se faire plaisir :

Car tout n’est qu’une question d’éthique

Les grimpeurs ont trouvé la réponse unique à toutes ces questions : l’éthique. L’éthique n’est ni plus ni moins qu’un consensus sur ce qui est permis ou pas, une sorte de petit arrangement entre un groupe de personnes qui pratiquent la même activité. Pour résumer en France, il est admis de nettoyer, brosser, purger, casser les prises fragiles, modifier les prises traumatisantes, percer des trous et y placer des protections mais il est interdit ou mal vu de tailler des prises même si de nombreuses voies de l’histoire de l’escalade en France ont pu être « taillées ».

Déséquiper : c’est permis !

Et pourquoi pas simplement déséquiper une voie si les évolutions technologiques et le niveau technique permettent de s’affranchir de l’équipement en place ? Une voie non parcourue pourrait être déséquipée, les falaises ne sont pas des musées mais des écosystèmes. Cette question est tout à fait légitime.

L’exemple le plus connu de déséquipement de ces dernières années d’une voie d’escalade, se passe en montagne en 2012 sur la voie du Compresseur sur le Cerro Torre en Patagonie argentine. Cette voie a été ouverte en décembre 1970 par l’équipe italienne menée par Cesare Maestri qui a atteint le sommet du Cerro Torre grâce à l’utilisation d’une technologie nouvelle pour l’époque en montagne : l’utilisation d’une perceuse à air comprimé pour placer des points dans le rocher. Cette voie fut tout simplement déséquipée par deux jeunes grimpeurs en 2012 après qu’ils aient parcouru la voie sans l’aide des points placés en 1970 par Maestri.

L’expédition italienne avec au centre Cesare Maestri (1929-2021) au Cerro Torre en Patagonie argentine en 1970. La voie du Kompressor a été ouverte en plaçant des points avec une perceuse à air comprimé. Le compresseur sur la photo trône encore sous le sommet du Cerro Torre. photo : Blog de l’escalade
Hayden Kennedy and Jason Kruk en janvier 2012, après avoir grimpé une variante de la voie du Kompressor sans les points placés en 1970, ils ont ensuite déséquipé la voie ce qui a fait une vive polémique. (photo : Jason Kruk)

En effet, le matériel actuel permet à présent le parcours d’itinéraires en fissure qui nécessitait la pose de protections fixes (pitons, goujons, broches scellées) en absence de matériel amovible. On peut également citer en exemple le déséquipement partiel de la fissure Ula dans le Verdon où, 50 ans après l’ouverture, la fissure a retrouvé son état presque naturel puisque que seuls les relais sont en place avec quelques goujons dans les longueurs du bas.

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Le matériel nécessaire pour la voie Ula dans les gorges du Verdon, au départ le fameux panneau NO BOLTS placé par le ou les déséquipeurs en 2011 (photo : E. Chaxel)

Histoire d’un ré-équipement

La semaine dernière, je me suis frotté au difficile travail d’entretien d’un secteur d’escalade déjà équipé. Mon précédent projet de rééquipement se trouvait au Pin Bouchain à côté de Lyon : lire cet article.

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un beau morceau de falaise au soleil du Bugey dans le département de l’Ain (photo : E. Chaxel)

Je dresse le portrait de la falaise et du lieu : petit morceau de falaise de 30 à 50 mètres de haut, calcaire, orientée sud agréable l’hiver avec une belle vue. Le rocher est bon sans être excellent et la falaise est soumise au gel ce qui occasionne l’apparition de blocs et masses de rocher instables toujours en équilibre au fil des ans. Un peu de végétation est présente sur la falaise, majoritairement des buis morts pour la grande majorité, mais pas d’oiseaux. Des voies ont été équipées ici entre 1999 et 2001 et sont peu ou pas parcourues depuis.

De la découverte du site au rééquipement

Grâce à un morceau de topo trouvé au hasard sur une table il y a 3 ans, je connaissais l’existence de ce spot mais je n’y étais jamais allé. La semaine dernière avec des températures clémentes, j’ai pu y traîner les chaussons avec 2 personnes motivé(e)s. Je m’excuse pour cette expérience désagréable qui consiste à grimper à vue sur des voies sales et avec un équipement plus vraiment adapté à l’état du rocher… Il faut le reconnaître ces repérages n’étaient pas agréables ! Mais j’ai trouvé que le site avait du potentiel avec de très belles lignes entre 6a et 7b sur du beau rocher gris ciselé, très bon pour la région, et méritait une seconde jeunesse d’autant qu’il y a peu de falaises d’escalade dans le secteur.

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la première voie du secteur que j’ai rééquipée : nommée « Grimpalopithèque », c’est un vrai musée de l’escalade car elle remonte une fissure où on trouve même des pitons (photo : E. Chaxel)

Question matériel : on garde ou pas ?

C’est donc parti pour quelques journées de travail. Après quelques jour, j’arrive à entrer en contact avec l’ouvreur historique qui m’indique que les voies datent des années 1999 à 2001. Ce dernier m’indique avec gentillesse que j’ai carte blanche pour « améliorer les voies ». C’est parti.

Par chance, 20 ans après, le matériel en place est encore en très bon état. Il s’agit de plaquettes et goujons FIXE-1 en acier avec un traitement de surface zingué doré. La résistance du matériel métallique en place est seulement de 22 kN, ce qui est inférieur à la norme FFME actuelle qui est de 25 kN. Pour des raisons économiques et écologiques, je prends la décision de compléter simplement l’équipement en place et de déplacer des points mal placés en ré-utilisant les plaquettes FIXE-1. A cause de ces 3 petits kN (environ 300 kg), le site ne sera pas un « site sportif » mais en « terrain d’aventure » dans la nomenclature FFME et c’est tant mieux. En revanche, je mets à jour tous les relais aux normes actuelles en remplaçant de veilles chaînes et en changeant les maillons rapides en place par des maillons et des anneaux de section plus importante en respect de la norme FFME, de 10 mm de section au minimum.

A gauche un nouvel ensemble goujon et plaquette, à droite l’ancien. En 20 ans, seuls la couleur et le logo ont changé. En théorie, les anciennes plaquettes FIXE-1 qui résistent à 22 kN ne sont plus à la norme actuelle de 25 kN… le secteur sera donc classé en « terrain d’aventure »

L’escalade peut comporter des risques

En parcourant les voies existantes, je me rends compte que des passages sont franchement expos car les voies passent au-dessus de vires où le grimpeur est invisible de l’assureur. L’équipement en place ne permet pas donc pas d’empêcher une chute sur vire même avec un assurage parfait, je décide donc : 1. de rajouter des relais intermédiaires sur les vires lorsque le passage au-dessus de la vire est très difficile par rapport au reste de la voie ou manque d’intérêt ; 2. d’ajouter des points au-dessus des vires. Après ces aménagements, les voies sont maintenant plus sûres.

Un autre danger subsiste sur le secteur : une zone est clairement en mauvais rocher et la structure des fissures et des blocs présagent d’une instabilité sur cette zone. En conséquence, je décide de condamner cette zone ne laissant qu’un relais en place. En cas de doute sur le caillou, déséquiper est la meilleure chose à faire. Une mention sera faite dans le futur topo sur cette zone dangereuse. C’est étonnant qu’avec une route nationale en contrebas, aucune intervention ou purge préventive n’ai été réalisés sur cette zone pourtant mentionnée dans un rapport du BRGM datant des années 80 ! On connait les conséquences parfois tragiques des éboulements sur les infrastructures en contrebas.

Le 1er mars 2012 une chute de bloc a eu lieu dans l’Ain et a tué un automobiliste, les occupants de la maison ont eu de la chance de s’en tirer indemnes. Les événements de type éboulements se déroulent souvent en fin d’hiver avec un fort redoux après une période de froid, une période de fortes précipitions liquides et/ou de fonte de neige intense (photo : le Progrès)

Et maintenant que faire ? Pas grand chose dans l’état actuel

Avec les questions de responsabilité que pose le déconventionnement des falaises, nul doute que ce secteur va rester au stade de secret spot quelques temps en attendant que la législation sur les sites naturels d’escalade devienne plus favorable, d’autant que des risques de type chutes de pierre existent sur cette falaise. Porter un casque ne suffit pas toujours.

Nul besoin d’affirmer que vouloir faire des falaises des gymnases réduit considérablement le terrain de jeu et il est illusoire de penser que l’entretien d’une falaise supprimera tous les risques, même si les grimpeurs sont équipés d’un casque. Il faut pratiquer l’escalade au contraire avec l’idée que les falaises sont par nature dangereuses, prendre ses responsabilités et adapter son comportement en conséquence. Certains sites sont sûrs, d’autres moins. Fréquenter des écoles d’escalade « découverte » ou rester confortablement au chaud en salle d’escalade sur un tapis sont aussi des options pour faire de l’escalade avec 0 risque ou presque.

En sortant l’escalade en falaise de l’environnement spécifique il y a une dizaine d’année pour des questions de niveau de formation des cadres fédéraux et des professionnels de l’escalade et en instituant sa classification « découverte », « sportif », « terrain d’aventure », la FFME a ouvert la boîte de Pandore. C’est maintenant aux gestionnaires des écoles d’escalade (équipeurs, clubs, CT FFME, communes, collectivités, etc.) de corriger le tir en informant sur les dangers de la pratique en pleine nature, ces dangers sont la plus plupart du temps maîtrisables à 99,9 % (avec toujours 0,1 % de chance) . Comme disait Patrick Edlinger dans la vie au bout des doigts en parlant des grimpeurs de falaise à mains nues « on est pas des fous ».

Si vous souhaitez découvrir ce « nouveau » site en ma compagnie, n’hésitez pas à me contacter !

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