Escalade : peut-on concilier les sports de pleine nature et l’environnement ?
J’ai récemment participé à une étude académique sur le développement des sports de pleine nature et leur impact sur l’environnement avec un focus sur l’escalade. Voici un petit entretien qui donne ma vision d’un développement de l’escalade dans le respect de l’environnement.


1) Quelles sont les raisons qui expliquent l’importante demande du public pour pratiquer les sports de nature ?
La société moderne s’écarte de plus en plus de la nature, ce qui se caractérise par la profonde crise écologique que nous traversons : nous vivons une période de disparition accélérée de la biodiversité et les perspectives du réchauffement du climat sont mauvaises. La société n’apporte aucune réponse satisfaisante à ces 2 problèmes. Nous faisons personnellement le constat chaque jour que nous sommes contraints de vivre dans cette société basée sur la croissance économique et la destruction des ressources terrestres. Les sports de nature sont la dernière liberté que nous ayons de nous sentir proche de la Terre. Les individus devant cette folie destructrice de la nature ont besoin de se reconnecter avec ce qui les fait vivre : le soleil qui apporte l’énergie et qui permet la vie sur Terre, l’air que nous respirons et la terre qui fait pousser les végétaux et nourrit les espèces animales et les êtres humains. De plus la pratique sportive libère l’esprit et permet de rester en bonne santé.
2) Comment concilier développement de la pratique sportive et préservation des écosystèmes en falaise souvent très rare et fragile ?
A mon sens c’est un faux problème car le pratiquant éclairé qui a conscience du point numéro 1) veillera à limiter ses impacts individuels sur les éco-systèmes. Par exemple, en adaptant ses déplacements en limitant les déplacements aux 4 coins du monde pour un morceau de caillou qu’il peut retrouver à côté de chez lui, en adaptant son comportement pour protéger l’environnement chaque journée de pratique : choix des lieux de pratiques locaux, utilisation de modes doux de transport et covoiturage, prise de renseignements sur les milieux naturels et comment les protéger, limiter ses déchets. Par exemple, ne pas fréquenter certains secteurs de grimpe en période de nidification ou ne pas pénétrer des zones d’hivernage des animaux à ski de randonnée, limiter sa pratique des sports de nature de nuit pour ne pas déranger la faune nocturne, ne pas détruire de végétaux en restant sur les sentiers, ne pas aménager les sites naturels de manière trop importante pour conserver la flore d’origine et les habitats pour la faune rupestre (rupestre : vivant dans l’écosystème de la falaise). Reste le problème des sites naturels dont on fait la promotion à outrance mais ça c’est autre débat. Je pense qu’il faut être conscient que faire courir 15000 personnes sur le même sentier en moins de 24 heures n’est sans doute pas acceptable, idem pour les sites d’escalade où des centaines de grimpeurs squattent en camion en permanence toute l’année : les dégâts sur l’environnement sont visibles.
Les sports de nature sont souvent pointés du doigt mais il ne faut pas oublier que c’est le mode de consommation global qui est responsable des désordres écologiques : utilisation disproportionnée des ressources naturelles, des minerais et des énergies fossiles, utilisation des engrais chimiques qui bouleversent la chaîne alimentaire des espèces animales, destruction des habitats, notamment ceux des chiroptères et des oiseaux avec l’agriculture extensive, l’artificialisation des sols et la rénovation des bâtiments. La pratique des sports de pleine nature est à la marge dans toutes ces nuisances !
3) Quelles sont les tendances d’avenir sur la pratique de l’escalade en milieu naturel ?
La tendance actuelle du développement de l’escalade est de prendre en compte le milieu naturel de la falaise : respecter les zones classées en protection du biotope, respecter les périodes de nidification, etc. A Cogne en Italie, les pratiquants de cascade de glace ne fréquentent pas certains secteurs l’hiver pour permettre la nidification du gypaète, idem dans les gorges du Verdon où certaines voies d’escalade sont interdites au printemps et l’été pour la nidification des vautours fauves. Au niveau des ouvreurs des voies d’escalade en falaise, beaucoup sont ceux qui ont pris conscience de leur impact sur l’environnement : l’ouverture d’une voie peut détruire des habitats de chiroptères et d’oiseaux par la purge systématique des écailles et des rochers instables, la fréquentation d’un site naturel peut empêcher la nidification des oiseaux sur celui-ci. Le nettoyage des voies peut faire disparaitre des végétaux rares ne poussant que sur les falaises. Même si des pieds de falaise aménagés ressemblent parfois plus à des terrasses qu’à un milieu naturel, on est quand même sur la bonne voie !
Il faut actuellement trouver un équilibre entre développement de l’escalade et préservation des milieux naturels. Actuellement cet équilibre est respecté dans certains départements français et certains massifs, un peu moins dans d’autres… Il faut également penser à son impact en voyageant puisque de nombreux grimpeurs passent beaucoup de temps à l’étranger pour grimper, ce qui a des conséquences sur l’environnement mondial. Changer d’approche est désormais plus que d’actualité.
4) Avec le fort engouement du bloc en milieu urbain, l’escalade traditionnelle en milieu naturel a-t-elle encore de l’avenir ?
Tout à fait, ces pratiques sont complémentaires. Le bloc est un excellent outil d’entrainement pour l’extérieur et l’escalade en falaise sportive ou traditionnelle reste source d’inspiration et de motivation pour de nombreux grimpeurs. Cet automne, Julia Chanourdie a réalisé un 9b en extérieur alors que sa pratique se tourne beaucoup vers la compétition. Idem pour des grimpeurs comme Adam Ondra, Alex Megos, Jakob Schubert et Stefano Ghisolfi qui accumulent les podiums en compétition et les croix en falaise. Adam Ondra a poussé le jeu en enchainant en escalade trad les voies les plus dures du Yosemite… Certains grimpeurs comme Alex Honnold, Tommy Caldwell, Sean Villanueva, Nico Favresse, Jacopo Larcher, James Pearson, Tom Randall, Pete Whittaker ou le regretté Brad Gobright ont poussé le niveau de l’escalade traditionnelle vers le haut et sont à l’affiche de nombreux films de grimpe à succès qui boostent la motivation des grimpeurs de bloc en ville… L’escalade est plurielle et ne se résume pas à une seule pratique.
C’est un autre sujet connexe mais le côté merchandising est présent dans l’escalade en falaise : marques de matériel, salles privées, festivals de films s’en servent pour vendre leurs produits mais je trouve que, contrairement à d’autres sports, je pense au surf notamment, l’escalade est encore épargnée des dérives du sponsoring. L’esprit des origines de l’escalade est toujours là.
5) Quel est le rôle concret du fond de dotation Rock Climber (de la FFME) ? (Leur site internet reste très vague sur la notion de protection de l’environnement)
Je n’en ai aucune idée. Je pense que c’est avant tout un outil de communication de la FFME. C’est un détail mais personnellement, je trouve que donner un nom anglais à un fond français est inadapté, ça fait penser au marketing des noms des franchises de salles d’escalade qui ont quasiment toutes des noms anglais. Si on parle falaise, la majorité des aides financières dont bénéficient les ouvreurs proviennent des collectivités locales et des associations locales de la FFME : les Ligues Régionales et les Comités Territoriaux (départementaux) de la FFME. Actuellement, la politique de la fédération nationale de la FFME est essentiellement tournée vers la communication et la compétition, il suffit de jeter un œil aux budgets de la fédération nationale pour se faire une idée de ses priorités.
6) Comment concilier les aménagements du territoire indispensables à la pratique de l’escalade (avec souvent un impact fort sur le milieu naturel) avec une politique de prise en compte des enjeux écologiques ?
Afin de réaliser de concilier le développement de l’escalade et les enjeux écologiques, il faut mettre tous les acteurs autour de la table : grimpeurs, élus locaux, associations de protection de l’environnement, associations de chasse, représentants de l’état. Il ne faut pas faire les choses à l’envers, l’équipement d’un site d’escalade ne commence pas par l’équipement mais par la concertation. Si les choses sont bien faites, l’impact sur les milieux naturels sera très faible. Il faut également sanctuariser certaines falaises, ce qui est déjà fait dans plusieurs départements français comme celui de l’Ain ou du Jura.
7) Quelle est la position de la FFME sur la pratique de l’escalade dans les zones protégées type réserves naturelles de France, Natura 2000, parc régional etc ?
La FFME est représentée au niveau local par les Comités Territoriaux, qui sont des associations loi 1901 à part entière. La FFME a toujours respecté les réglementations environnementales et les zones protégées et reste moteur dans la préservation de l’environnement des falaises. Les abus dans le passé ont été souvent l’œuvre de personnes isolées.
8) Comment réduire l’impact de la pratique de l’escalade sur son écosystème proche ?
C’est très simple, il suffit de lire le topo-guide du site d’escalade qu’on visite. S’il est bien fait, tout est expliqué à l’intérieur 😊
9) Existe-t-il un moyen de rendre un mur d’escalade en gymnase écoresponsable ?
Je pense que oui : privilégier une bonne isolation des locaux et un chauffage adapté qui limitent les pertes d’énergie, sensibilisez les utilisateurs sur les transports en modes doux, le covoiturage pour se rendre sur le lieu de l’activité. Utiliser du matériel d’escalade en commun plutôt que de disposer chacun de sa corde et de ses dégaines est un plus.
10) Existe-t-il déjà un label «écoresponsable» qui permet de regrouper les espaces de pratique qui respectent l’environnement ?
Pas encore mais c’est à inventer ! Ce label existe déjà en ce qui concerne les cours d’eau, par exemple le label « Rivières Sauvages ». Il serait intéressant de disposer de telles certifications pour les falaises.