Changer ses habitudes : ça veut dire quoi ?
La crise climatique est là, dans les Alpes et ailleurs. Depuis 20 ans les principaux glaciers français comme la mer de glace à Chamonix fondent à vue d’œil. 20 ans c’est aussi le temps qui nous sépare du protocole de Kyoto signé par les États en 1997. Depuis que s’est-il passé ? L’accord de Paris est rentré en vigueur en décembre 2015 et prévoit de limiter le réchauffement planétaire de 2°C entre l’ère pré-industrielle (fin du XIXème) et 2100.
En 2020, nous sommes nombreux à vouloir « changer nos habitudes », mais qu’est ce que cela représente vraiment dans notre vie quotidienne ? Réponse dans cet article qui fait aussi un point d’étape sur les politiques climatiques et les chiffres clés.
Un constat simple : l’atmosphère se réchauffe
Le constat est simple : l’atmosphère se réchauffe en France et dans le Monde données climatiques à l’appui. En moyenne de 1 degré depuis 1900 mais l’augmentation est très nette en France ces dernières décennies.
La principale cause de ce réchauffement planétaire est l’effet de serre qui est accentué par certains gaz présents dans l’atmosphère dont le CO2. Il est maintenant admis par les scientifiques que la température de la Terre dépend de la concentration en CO2 dans l’atmosphère et que stabiliser sa concentration permettrait de limiter le réchauffement de l’air de notre planète.
Le CO2 est émis par les activités humaines et notamment les combustions d’énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel et gaz de schiste). Chose intéressante, sa concentration augmente presque linéairement avec l’augmentation du PIB mondial : c’est donc jusqu’à présent la croissance économique qui est responsable du réchauffement du climat.
OK ça se réchauffe et on ne fait rien ? On a pourtant essayé…
La prise de conscience du réchauffement climatique ne date pas d’hier et ne nombreux traités et protocoles internationaux ont été signés pour stopper l’augmentation de la concentration en CO2 dans l’atmosphère tout en conservant une croissance économique. Où en est-on à présent ? Pas très loin comme le montre le graphique ci-dessous : les différents traités et protocoles n’ont pas d’impact sur la concentration atmosphérique en CO2… qui continue à augmenter linéairement jusqu’en 2020
Concentration dans l’atmosphère en 2020 : 412 ppm
Malheureusement pour nous ce n’est pas parce qu’on arrête de se déplacer avec nos voitures et nos avions à énergies fossiles et d’émettre du CO2 que la concentration baisse car le CO2 qui a été émis dans l’atmosphère y reste en moyenne 50 ans : nos actions sur les émissions aujourd’hui auront donc un effet dans plusieurs dizaines d’années sur le climat !
On peut donc au mieux voir une stagnation de la concentration atmosphérique de CO2 à un niveau donné mais pas de baisse de la température dans les 20 années qui viennent !
Peut-on agir au niveau mondial et comment ?
Point de fatalisme, on peut agir et le GIEC, le groupement international des experts sur le climat, a pondu plusieurs scénarios d’évolution de la concentration de CO2 en fonction de choix économiques et sociétaux entre 2010 et 2100.
En 2015, l’objectif de l’accord de Paris était de limiter le réchauffement mondial à moins de 2°C entre 1870 et 2100.
contenir d’ici à 2100 le réchauffement climatique
Accord de Paris de 2015nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C
Le graphique suivant montre que pour respecter l’accord de Paris, il faudrait être sur la trajectoire RCP4.5 (2°C) ou RCP 2.6 (1.5°C).
Cet objectif de 1,5°C équivaut à revenir à des émissions de CO2 en 2100 identiques à celles de 1950.
L’objectif de diminution au niveau mondial des émissions de CO2 peut aussi se traduire par une quantité de carbone restant à émettre dans l’atmosphère entre 2018 et 2100 pour ne pas dépasser 1,5°C. Ce bilan carbone restant à partir de 2018 est de 1170 Gt CO2 et de seulement 420 Gt CO2 pour le limiter à 1,5 °C. (1 Gt = 1 milliard de tonnes)
Si on ramène les bilans carbone mondiaux par habitants, ça représente en moyenne 1,9 tonnes CO2 par an et par habitant pour limiter à 2°C et 0,7 tonne CO2 par an et par habitant pour limiter à 1,5 °C l’élévation de température en 2100.
On tient notre objectif mondial pour limiter le changement climatique !
Mais tous les pays ne sont pas égaux devant le carbone
Et c’est là que se pose la difficulté de traduire ces objectifs mondiaux sur le territoire géographique d’un pays. Les habitants du monde ont des émissions de CO2 (et d’autres gaz principalement le méthane CH4) par habitant qui diffèrent d’un pays à l’autre en fonction de la situation économique et des énergies utilisées (nucléaire, pétrole, gaz, charbon, énergies renouvelables). C’est ce que montre le graphique suivant. La France est comprise dans l’UE (Union Européenne) à 28 pays.
Remarques techniques : 1 Gt = 1 milliards de tonnes. Dans la suite, on englobe tous les gaz à effet de serre (GES) en parlant de pouvoir de réchauffement global en équivalent CO2. Sur la durée de vie de 100 ans du CO2 dans l’atmosphère, le méthane réchauffe 25 fois plus la Terre que le CO2, 1 kg de méthane aura les mêmes effets sur le climat que 25 kg de CO2 éq. A 20 ans, le pouvoir de réchauffement de 1 kg de méthane est de 72 kg CO2 éq.
En 2012, les émissions de GES par habitant en Amérique du Nord (21 tonnes par habitant) sont plus de 8 fois plus élevées qu’en Inde et plus de fois plus élevées qu’en Europe. Toutefois, ces valeurs ne reflètent pas les disparités qu’il peut y avoir dans une même région. Par exemple, au Moyen-Orient, les émissions par tête sont de plus de 50 tonnes de GES par habitant au Qatar et de moins de 2 tonnes de GES par habitant au Yémen… ou au sein d’un même pays.
Les sources d’énergie utilisées par un pays pour produire ses biens, se déplacer et chauffer ses bâtiments impactent directement le bilan carbone par habitant du pays comme le montre ce petit graphique.
Au niveau de la France, le bilan carbone en 2012 est de 6,6 tonnes de GES, il est inférieur à la moyenne européenne de 9 tonnes grâce à l’utilisation massive de l’énergie nucléaire en France.
Chaque Français émet presque 11 tonnes de GES par an
Mais nous Français émettons beaucoup plus que 6,6 tonnes de GES car nous consommons des produits importés d’autres pays du globe et nous nous déplaçons en dehors du territoire français, quelques fois assez loin en avion. Nos produits sont souvent manufacturés en Chine, un pays qui utilise massivement le charbon pour les produire, or le charbon est le combustible fossile qui émet le plus de CO2 pour produire de l’énergie (voir le graphique plus haut).
Le problème devient inextricable et les scénarios de réduction des émissions de GES ne sont pas simples à mettre en œuvre même à l’échelle d’un pays comme la France !
Pour simplifier, calculons les émissions moyennes de chaque français avec la méthodologie simplifiée du Bilan Carbone de l’ADEME. Cette approche prend en compte le carbone émis pour la fabrication des produits, leur transport et par leur cycle de vie.
Comme le montre le graphique suivant, notre empreinte carbone, si on prend en compte nos importations, n’est plus de 6,6 tonnes de GES par an et par personne mais approche 11 tonnes de GES !
Objectif en 2050 : 2,5 tonnes de GES par personne et par an
En France, l’objectif est le facteur 4 : réduire les émissions de GES du pays par 4 entre 1990 et 2050. C’est encore différent des objectifs internationaux. Si on part du principe que l’empreinte carbone d’un français était aux alentour de 10 tonnes par habitant en 1990 (données SDES, 2019), notre objectif individuel en France pour 2050 serait de 2,5 tonnes de GES par an et par habitant à population constante.
Objectif en 2050 en France : 2,5 tonnes de GES émis par un habitant chaque année
c’est l’objectif facteur 4 de la France
Le changement c’est maintenant : à vous de calculer votre bilan carbone
Pour savoir comment agir à votre niveau pour lutter contre le changement climatique, à vous de calculer ce que représente l’objectif individuel de 2,5 tonnes de GES dans votre vie de tous les jours avec ces données fournies par l’ADEME :
émissions annuelles de GES eq CO2
TRANSPORTS
- 10 000 km en avion (1 voyageur) : 2,9 tonnes pour info : trajet A/R Paris/New-York : 12 000 km
- 10 000 km en voiture (1 passager) : 2,6 tonnes pour info : un véhicule parcourt en moyenne 13 000 km / an
- 10 000 km en Bus (en France) : 256 kg
- 10 000 km en TGV (en France) : 3,7 kg
- 10 000 km en Métro (à Paris) : 5,7 kg
- 1 vélo mécanique : 100 kg* puis 0 g par km parcouru * estimation TNO Pays-Bas
- 1 vélo électrique : 140 kg* puis 9 kg par 1000 km parcouru *estimation TNO Pays-Bas
ALIMENTATION
- Repas classique avec bœuf : 6,3 kg soit 2,3 tonnes /an pour 1 repas par jour
- Repas classique avec poulet : 1,3 kg soit 475 kg/an pour 1 repas par jour
- Repas classique végétarien : 0,5 kg soit 180 kg /an pour 1 repas par jour
ÉLECTRONIQUE
- Ordinateur fixe avec écran plat : 1,3 tonne
- Ordinateur portable de 14,1 pouces : 202 kg
- Smartphone : 30 kg
COMMUNICATION et STREAMING
- 1 mail avec pièce jointe : 35 g soit 130 kg/an pour 10 mails/jour avec PJ
- 1 mail sans pièce jointe : 4 g soit 15 kg/an pour 10 mails/jour sans PJ
- 1 recherche internet : 6,65 g soit 24 kg/an pour 10 recherches par jour
- 1 tweet : 0,02 g soit 0,07 kg/an pour 10 tweets/jour
- 1 heure sur Netflix : 56 à 114 g estimation de carbon Brief, 2020
- 1 heure sur Youtube : inconnu
Données en kg CO2 éq. Source : ADEME, Bilan GES, 2018 sauf indication contraire
Ce calcul ne traite pas le LOGEMENT où 4 paramètres rentrent en jeu dans les émissions de GES :
- le climat de votre région / votre altitude
- la taille du logement
- la qualité de l’isolation
- le type de chauffage utilisé (bois, gaz, fioul, électricité, géothermie, solaire, etc.)
Sources
La majorité des graphiques sont tirés de l’excellent rapport de 2020 du Commissariat général au développement durable / chiffres SDES 2019
Toutes les données sur le Bilan Carbone de l’ADEME : https://www.bilans-ges.ademe.fr
Quelques liens en rapport avec l’article…
- A Chamonix la mer de glace se meurt doucement
- Changer d’approche (en montagne) : est-ce encore possible ?
- Calculer le bilan carbone de son approche en falaise et en montagne
- Mon site pro sur l’atmosphère au sein de la coopérative OXALIS
Et comme les autres articles sur l’environnement un peu chiants, je termine avec un peu d’entertainment et une œuvre de Lubomir Arsov aussi géniale que flippante sur un imaginaire qui parait tellement réel…