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Environnement

A Chamonix la Mer de Glace disparait sous l’œil des touristes

CHANGEMENT CLIMATIQUE. Dans le massif du Mont-Blanc, le plus grand glacier français est appelé la Mer de Glace au 18ème siècle à cause de ses crevasses à l’aspect de déferlantes de glace. Alors que la Mer de Glace menaçait les habitations dans la vallée dès le 17ème siècle, le glacier s’est doucement éclipsé jusqu’au 20ème siècle. Au 21ème siècle, il est devenu une langue de glace grise débonnaire recouverte de pierres : tout s’accélère ces 15 dernières années.

L’hiver 2020 n’a pas arrangé les choses, il a peu neigé à l’altitude de la langue terminale de la Mer de Glace. Ce déficit d’enneigement annonce une catastrophe pour le glacier qui a perdu près de 10 mètres en hauteur en 2019. Des prévisions pessimistes montrent que la Mer de Glace devrait disparaître au niveau du Montenvers après 2020… Il est nécessaire d’agir.

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Deux photos de l’hiver 2020 : le bas de Mer de Glace au niveau du Montenvers, peu de neige, la glace vive est encore visible certaines journées. Le téléphérique du Montenvers à 1764 mètres qu’on connait aujourd’hui a été inauguré en 1988, depuis la Mer de Glace est descendue de 120 mètres soit en moyenne 6 mètres par an !

La Mer de Glace : plus grand glacier français avec ses 7 kilomètres de long

La Mer de Glace est le plus grand glacier français avec ces 7 kilomètres de long et ses 40 km2 de surface au sol. Ce glacier est formé par la confluence du glacier du Tacul qui s’écoule du grand bassin glaciaire du Géant et de la Vallée Blanche et du glacier de Leschaux. La Mer de Glace s’écoule vers la vallée de l’Arve, sur le territoire de la commune de Chamonix-Mont-Blanc, donnant naissance à l’Arveyron.

La Mer de Glace est une zone glaciaire d’ablation : la fonte de la glace l’été est plus importante que l’accumulation de neige l’hiver. La glace provient de l’écoulement depuis la zone d’accumulation à plus de 3000 mètres d’altitude.

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La vue du refuge de l’Envers des Aiguilles : on aperçoit les bandes de Forbes (55 paires en 1995) formées par le verrou de la Salle à Manger à droite sur la photo prise en août 2017

Le glacier se forme au-dessus de 2800 mètres d’altitude et s’écoule vers le bas comme l’eau d’une rivière

Au niveau de la zone d’accumulation du glacier, en amont de la vallée Blanche, l’épaisseur de neige en moyenne est de 8 mètres à la fin de l’hiver qui va se compacter superficiellement dès le début de l’été pour se transformer en névé. Pendant 15 ans environ, les couches de névés deviennent plus denses sous leur propre poids et finissent par se transformer en glace compacte vers 30 mètres de profondeur.

La glace nue apparaît à la fin de l’été vers 2 800 mètres d’altitude (bas de petit rognon au-dessus du refuge du Requin), l’endroit qui marque la transition avec la zone d’ablation, c’est-à-dire le point où le bilan annuel de la fonte devient plus important que celui de l’accumulation.

Depuis la zone d’accumulation où elle se forme, la glace s’écoule doucement vers le bas sous l’effet de la gravité.

La Mer de Glace est formée par la confluence du glacier du Tacul (à droite) et du glacier de Leschaux (en haut). Des bandes de Forbes sont bien visibles ici depuis le refuge de l’Envers des Aiguilles visible sur la photo en 2017.

La Mer de Glace avance de 120 mètres par an

La vitesse d’écoulement de la Mer de Glace est de 120 mètres par an dans sa partie supérieure et de 30 mètres par an au niveau du Montenvers. Ce glacier est tempéré et s’écoule plus vite l’été que l’hiver : l’eau de fonte de la neige s’engouffre dans les crevasses et les moulins et accélèrent le glissement du glacier sur son socle rocheux. Au niveau du rétrécissement des séracs du Géant, la vitesse d’écoulement est de 800 mètres par an ! Au niveau de son point le plus bas, la langue, le glacier recule en moyenne de 40 mètres par an depuis 2003 (réf : Vincent et al. 2014) : l’apport de glace depuis le haut ne compense pas la fonte estivale. Le glacier perd du volume, on dit alors que son bilan de masse annuel est négatif.

Le relief sur lequel s’écoule glacier provoque la formation des crevasses, des séracs et des bandes de Forbes : ce sont une alternance de bandes claires correspondant à un franchissement hivernal du verrou du glacier du Géant au niveau de la Salle à Manger, avec un remplissage de neige, et de bandes foncées à un franchissement estival avec accumulation de débris minéraux et de poussières.

Réchauffement climatique et disparition de la Mer de Glace au Montenvers dès 2030

Le réchauffement climatique est à l’œuvre depuis la fin du petit âge glaciaire au XIXème siècle : depuis cette époque les glaciers reculent doucement, pourtant ces dernières années semblent dramatiques. Pourquoi ? Pour 4 raisons :

  • A cause du réchauffement de la température de l’air en altitude, la baisse des précipitations sous forme de neige en altitude limite la formation de glace dans la zone d’accumulation du glacier : à l’image d’un lac de retenue au-dessus d’un barrage qui reçoit moins d’eau de son bassin versant, le glacier perd de son volume.
  • La remontée de la limite pluie/neige en hiver et au printemps : la zone d’ablation n’est plus recouverte de neige ce qui diminue l’albedo du bas du glacier : la quantité de rayonnement solaire absorbée par le glacier augmente et accélère la fonte. La pluie rentre dans les crevasses et accélère le glissement du glacier sur son socle rocheux.
  • Les canicules en période estivale : les températures élevées accélèrent la fonte de la glace et la disparition rapide de la neige de l’hiver à la surface de la zone d’ablation qui en devenant plus sombre, absorbe d’avantage le rayonnement solaire et fond plus vite.
  • La disparition du pergélisol (permafrost) : toute l’année, y compris l’hiver, la disparition du pergélisol (permafrost) accélère l’éboulement des moraines et des parois rocheuses sur les bords du glacier dont les détritus rocheux se déposent sur le glacier, diminue l’albédo du glacier et accélère la fonte toute l’année.

Un observatoire du Ministère de l’Environnement mesure la fonte d’une sélection de glaciers français depuis le début du XXème siècle, ce constat fait froid dans le dos : depuis 2003 la fonte s’est accélérée et les glaciers français ont perdu en moyenne 25 mètres depuis 2000.

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Variation d’épaisseur des glaciers français en mètres équivalents eau. La Mer de Glace a perdu plus de 20 mètres d’épaisseur depuis 2000 en moyenne sur toute sa surface. Données : Onerc

Les prévisions climatiques sont pessimistes : la Mer de Glace reculera dans les années qui viennent si bien que la langue du glacier devrait remonter au-dessus du Montenvers entre 2020 et 2030 et au niveau des Flammes de Pierre entre 2030 et 2040 : c’est ce que montre une étude du rapport sur les évolutions climatiques dans l’Espace Mont-Blanc « Mont-Blanc – Rapport n°1 – Évolutions climatiques »

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Évolution de la Mer de Glace modélisée en 2020, 2030 et 2040 en fonction des données climatiques et des paramètres physiques du glacier. L’échelle de la couleur correspond à l’épaisseur de glace en mètres. On note ainsi un retrait du front de la Mer de Glace mais aussi une rapide réduction de son épaisseur. Les traits rouges sont des repères fixes, le Montenvers et les Echelets sous les Flammes de Pierre. Source : Vincent et al. 2014–IGE/CNRS, Grenoble.

Un site à voir une dernière fois ?

Les jours de la Mer de Glace au niveau du Montenvers sont comptés, peut-être est-ce l’occasion d’aller lui rendre une dernière visite avant qu’elle disparaisse à jamais à l’échelle d’une vie humaine… « Quand j’étais plus jeune, j’ai vu de la glace au Montenvers » pourrez-vous peut-être dire à vos enfants.

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