Changer d’approche pour grimper : est-ce encore possible ?
Si vous utilisez le réseau social américain préféré des Français, vous n’aurez pas pu manquer le flux constant d’images et de vidéos sur les gilets jaunes ce mois dernier. Jusqu’à saturation. Ce conflit mené par des personnes simplement armées d’un gilet le samedi 17 novembre a vite fait passer à la trappe la précédente lubie médiatique qui était le changement climatique. La COP24, la grand-messe mondiale pour protéger la Terre et ses habitants des effets du réchauffement climatique, s’est tenue du 2 au 15 décembre en Pologne. Avec les gilets jaunes, pas grand monde n’a entendu parler de la COP24.


Début décembre, aux États-Unis, pays le plus gros pollueur du monde, la marque de vêtements Patagonia a rendu à la planète 10 millions de cadeaux fiscaux de l’administration Trump en faisant le don de ce pécule à des associations de défense de l’environnement. En plus de son « 1 % pour la planète », Patagonia conforte son image de marque de fringues green. Certains de mes potes grimpeurs applaudissent à 2 pouces.
En trainant sur skitour ce week-end, je suis tombé là-dessus : le 18 janvier 2019, Mountain Wilderness dévoilera les lauréats du concours Changer d’Approche édition 2017-2018. Le principe : utiliser les moyens de transport doux (train, vélo, bus…) pour réaliser une sortie en montagne puis raconter son expérience sous la forme de récits, photos, ou vidéos. 262 personnes ont participé à ce « défi ».
Et puis, pour finir, ce soir de vrai-amis digitaux partagent cet article de Alpine Mag sur la responsabilité de chacun dans le désordre planétaire : nous montagnards et grimpeurs français, grands consommateurs de voyages aéroportés à l’étranger pour arpenter les glaciers et les falaises, nous serions un peu responsables de tout ça et il faudrait l’assumer et ne pas être dans le déni.
Quel est le rapport entre ces 4 faits ? Le changement d’approche
Bossant à moitié sur les problématiques environnementales liées à la pollution de l’air à côté de mon boulot de mon futur boulot de guide de haute-montagne, je me casse la tête depuis 2 ans pour développer un site d’escalade accessible en transport en commun. L’accessibilité en transport en commun est une vertu sociale (pour tous) et environnementale (moins de gaz à effet de serre et moins de polluants dangereux pour la santé émis par le transport).
Mon précédent projet d’équipement du Pin Bouchain à côté de Tarare (40 km à l’ouest de Lyon) m’avait laissé un petit regret en 2017 : l’approche en transport en commun n’est pas aisée. Paie tes soucis de parking chez Jean-Paul l’agriculteur où passe le chemin d’accès. A Lyon, le site d’escalade de Curis offre le grand intérêt d’être accessible en bus urbain TCL depuis toute l’agglomération lyonnaise. Rien que pour emmener grimper des groupes de minots, ça facilite grandement les choses.
Située à 50 km à vol d’oiseau de Lyon, la roche de Narse dans le département de l’Ain offre quelques possibilités d’escalades intéressantes en grandes voies non loin de Lyon et en 2018, la roche de Narse a un grand avantage : la ligne de train Lyon/Ambérieu/Chambéry ou Genève dessert la gare de Tenay/Hauteville 10 fois par jour. La gare est situé à 1,5 km à vol d’oiseau de la falaise. Une vraie aubaine pour développer un tourisme de l’escalade green dans la vallée de l’Albarine.
Mais le pire arrive : la politique du « fini le train »


C’était sans compter sur une déception énorme lorsque j’ai découvert le prix du billet Lyon/Tenay : 13,60 €, soit 27,20 € par personne pour un aller-retour. Le prix d’un aller-retour Lyon/Tenay en voiture (carburant et péage) revient à environ 15 €. Faites le calcul si vous covoiturez et que vous êtes 4 dans la voiture pour aller grimper le samedi : le choix du moyen de transport est vite fait. Quant à la personne qui n’a pas de voiture, elle ira chez Climb Up en métro, à pied ou à vélo, l’entrée n’est qu’à 15 euros. Elmer Food Beat a fait un tube prémonitoire sur l’escalade moderne en 1990 : Le plastique c’est fantastique (clip).
Et c’était sans compter sur une catastrophe… la gare de Tenay/Hauteville risque tout simplement de fermer ! Comment ? A cause de quoi ? La politique de l’État et de TER Auvergne Rhône Alpes en vue de la mise en service de la ligne Lyon/Turin. Une pétition tourne pour la sauvegarde des gares. Le train Lyon/Turin est en marche dans la vallée de l’Albarine mais impossible pour les habitants d’y monter.
Les grimpeurs sensibles à l’environnement pourront porter une doudoune nanopuff Patagonia fabriquée au Vietnam pour se sentir concernés et se la péter en falaise, certains pourront changer d’approche en pédalant vers la course de ski de rando ou leur falaise préférée. Dans le même temps, les grimpeurs auront toujours le choix entre des dizaines de vols en classe éco pour aller grimper à l’autre bout du monde, au Yosemite en Californie, à Chaltèn en Patagonie, dans le Wadi Rum en Jordanie, à Rockland en Afrique du Sud, à Madagascar, …
En revanche, le seul choix qui nous restera pour grimper à 50 kilomètres de la maison sera l’automobile.
Et vous, vous choisissez quelle approche ?
Et tout devient clair : l’approche n’est pas prête de changer
Alors là tout devient vraiment très clair dans ma tête : le prix de l’essence chez Total, la voiture individuelle partout et pour tout, les gilets jaunes sur les péages de Vinci et Eiffage, les 2 mêmes qui fabriquent les autoroutes avec le pétrole de Total, la voiture au lithium chinois, nous les consommateurs, la SNCF, les Italiens, la gare de Tenay/Hauteville, le vélo, les baskets, Patagonia, le Vietnam, le changement climatique, les rapaces et les chauves-souris.
L’approche n’est pas prête de changer en 2019.


Quelques liens utiles :
- Signer la pétition pour le maintien de la gare de Tenay/Hauteville
- Découvrir la campagne Changer d’approche de Mountain Wilderness
- Calculer l’impact sur le climat et les émissions de CO2 de votre approche en falaise
Le mot (+) de la fin : à Chamonix Mont-Blanc, la quasi totalité des falaises de la vallée sont accessibles en transport en commun : train et bus, bien souvent gratuitement… simple question de volonté politique et d’un savant mélange d’accessibilité sociale, de développement économique et touristique et d’environnement.
Et comme tous les articles sur l’environnement, je termine par une œuvre animée contemporaine de Steve Cutts bâtie sur un morceau musical classique composé en 1874 par Edvard Grieg… comme quoi les dernières générations, à défaut d’avoir le monopole du génie ont au moins le monopole de la destruction de la planète.