Nouvelle grande voie : « voyage sur la lunule » à la roche de Narse (01)
VOYAGE SUR LA LUNULE. Certaines ouvertures de grandes voies d’escalade sont des aventures au long court. Pas besoin de voyager à l’autre bout du monde pour vivre de nouvelles aventures, preuve qu’on peut encore ouvrir des longueurs de grimpe inédites à côté de la maison dans le sud du massif du Jura (le Bugey). Voici le récit complet de l’ouverture de ma dernière voie à la roche de Narse qui aura duré presque 2 ans. Un véritable « voyage » pour un niveau obligatoire en escalade de 6a comme seul passeport…
La partie centrale de la paroi sud-est de la roche de Narse (01) était jusque-là difficilement accessible puisque d’énormes surplombs en rocher délité et des dévers lisses dans le bas de la paroi bouchaient l’accès aux longueurs du haut en bon rocher prisu. D’une longueur totale de 150 mètres, le « voyage » permet d’accéder à de belles longueurs d’escalade en fissure, dalle ou en mur raide par un cheminement astucieux sur des vires pour un niveau obligatoire en 6a. La voie offre également une ligne de rappel directe pour descendre de la voie Superstar.
Le carnet de « voyage sur la lunule »
Avril 2019. C’est la période où j’ai ouvert avec Ben et Diogène le toit de « la Guenille », nommé en mémoire de notre collègue moniteur d’escalade Guillaume Bretin décédé d’un accident le 1er avril. Les 3 petites longueurs ouvertes du bas ont permis de monter visiter la « vire intermédiaire » au centre de la paroi du secteur des grandes voies. A cette vire, on bute sur un mur raide de 40 mètres sous le sommet. Difficile d’imaginer un jour faire passer une grande voie « intéressante » (pour le commun des grimpeurs) dans cet affreux toit coté 7c ou A0 et continuer dans le mur raide qui annonçait des cotes toujours dans le 7 🙁 Demi-tour vers le bas.
Juin 2020. Lors d’une session d’équipement avec Yann, Rudolphe, Théo et Arthur, le bas de la paroi a laissé entrevoir un espoir pour contourner la zone des toits autour de « la Guenille ». A l’occasion des ouvertures dans le secteur « Planète Narse », après avoir enlevé un bloc de la taille d’un frigo qui bouchait un dièdre, un passage en 6b est apparu « le dièdre blanc » entre le bas de la paroi, le secteur école et les vires qui rejoignent « la Guenille »… L’idée d’une grande voie en traversée dans un niveau 6 germait.
Octobre 2020. Depuis 2 ans, je recherchais désespéramment une ligne de rappel « école » pour Superstar, comprenez une ligne de rappel avec des relais confortables sur des vires pour y aligner plusieurs cordées d’élèves en grande voie. L’actuelle ligne de rappel déversante dans la voie Tête en l’Air a déjà coincé plusieurs cordées sur leur corde, si bien qu’un sauvetage héliporté a même eu lieu l’été 2020 ! Des cordées inexpérimentées s’engageant avec une corde de rappel de 50 mètres finissaient coincées en bout de corde à plus de 5 mètres de la paroi… Certaines cordées ont réussi l’exploit de descendre au sol avec un rappel de 60 mètres avec l’élasticité ! Dans tous les cas, une lecture du topo-guide aurait permis d’éviter ces mésaventures mais vu que le grimpeur digital aime trouver des bouts de topo gratuit sur internet et se jeter à vue dans les voies, voici le résultat !
Déterminé à trouver cette ligne de rappel « école » à proximité de Superstar, faire quelques heures le sanglier dans les buis morts a été nécessaire pour trouver un gros bloc stable au milieu des pierriers instables avec une petite vire pour accueillir plusieurs personnes en sommet de falaise. Ce jour-là, je commence à défricher les 10 premiers mètres de la future ligne de rappel vers le haut de falaise. Les buis morts libèrent des pierres de leur racines cassantes, ce qui rend le travail périlleux et nécessite de descendre avec précautions. Ce travail de nettoyage pénible, qui plus est réalisé sous la pluie lorsque la falaise n’est pas fréquentée, permet de sécuriser non seulement le haut mais aussi le bas de la falaise et d’éviter les chutes de pierre en conditions venteuses et pluvieuses.
Une journée de plus sera nécessaire pour trouver un relais de rappel sur une petite vire 30 mètres plus bas sur la paroi. Le rappel est mesuré à 50 mètres du sol avec un brin de rappel. Je sécurise les alentours du relais par une purge préventive car les cordes de rappel peuvent facilement décrocher des pierres au-dessus des casques des grimpeurs au relais. Ce jour-là j’en profite pour pré-équiper du haut les 2 dernières longueurs de la future voie en plaçant des points pour rejoindre en traversée descendante la vire de « la Guenille ». Après quelques purges plus ou moins légères, le rocher me parait tout à fait correct, ce qui est toujours une agréable surprise. C’est arrivé à la vire intermédiaire que je découvre la grosse lunule qui donnera son nom à la voie 🙂 La boucle est presque bouclée ou « la lunule presque cravatée » devrais-je écrire.
Vendredi 10 octobre, nous sommes montés avec Raphaël Jochaud, moniteur au BEM de Lyon, dans les premières longueurs du secteur école pour rejoindre le « dièdre blanc » après 2 longueurs. J’en profite pour faire un peu de nettoyage de ces belles longueurs en fissure en 5c/6a équipées en 2005 et qui tombent petit à petit dans l’oubli sous les ronces. Nous rejoignons le « dièdre blanc » en empruntant un morceau de longueur équipé par Maxime Casanova dans les années 2010, toujours en nettoyant un peu les prises de la terre. Raphaël libère le passage du « dièdre blanc » en 6b bien au-dessus du point, la suite de la longueur en dalle en 6a ouverte en juin 2020 ne lui pose pas plus de problème et il rejoint la vire au sommet de « Planète Narse ». En second, je rajoute un point dans le passage physique et obligatoire du « dièdre blanc » pour sécuriser le passage et autoriser le passage en A0.
Nous poursuivons sur la vire au sommet de « Planète Narse » et j’ouvre du bas un court mur en 6a pour déboucher sur la vire intermédiaire et pour rejoindre facilement en traversée (marche) à gauche « la Guenille » et la lunule. Nous redescendons en rappel dans « la Guenille » ce jour-là. Nous prenons un coca bien mérité au Hérisson Gourmand à Argis avant de rentrer à Lyon. Le même soir, les bars ferment à Lyon à cause des nouvelles règles sanitaires pour la Covid.
Dimanche 12 octobre, après un samedi pluvieux, l’assaut final est donné le dimanche avec Lucas Baronnet, également moniteur au BEM. Nous repartons dans les longueurs du bas. Je passe en second faire encore un peu de nettoyage. La voie est encore sale malgré les pluies de la veille. Après quelques bons combats sur des prises terreuses, nous arrivons sur la vire intermédiaire de « la Guenille ». Je pars en tête dans la longueur délicate en traversée sur l’équipement provisoire placé du haut une semaine auparavant.
Il faut savoir que l’équipement placé du haut est rarement optimisé pour l’escalade libre en tête puisqu’entre le moment où il est placé et le moment où la voie est calée, des prises ont été cassés et des blocs purgés. Dans la section difficile, tout a changé ! Il me faut en grimpant, perfo à la ceinture, remplacer 4 points pour rendre l’escalade à vue agréable avec des points bien placés pour le mousquetonnage. Je garde en tête de conserver un niveau 6a obligatoire pour le leader sans verser dans le A0, « l’échelle de spits » ou « la voie ferrée » ce qui demande pas mal de réflexion sur l’équipement. La tête chauffe autant que les biceps. J’arrive au relais après un bon combat dans une section terreuse sans point d’assurage. Je rajoute un point dans la section. Je cote cette longueur 6b/c pour le moment car le premier parcours du bas avec un sac à dos et un perfo à la ceinture a été épique ! Y’a tout ce qu’il faut en bonnes prises de pied et main mais ça penche un peu et la lecture est difficile ce qui fait un petit challenge à vue. Lucas en second confirme que c’est plus dur que le début de la voie. Arrivé au relais, Lucas finira la voie en sortant au sommet par une belle dernière longueur en fissure coté 5c. L’équipement déjà en place est nickel. Une averse nous surprend. C’est sur des prises terreuses et boueuses que je finis cette première ascension du « voyage sur la lunule ».
Nous descendons dans la nouvelle ligne de rappel qui se termine par un grand rappel de 50 mètres en fil d’araignée et nous nous laissons tranquillement glisser à pied avec le sourire aux lèvres jusqu’à Argis où le Hérisson Gourmand est déjà fermé (on est dimanche ce qui signifie fermeture à 17 heures). De retour à Lyon, nous devrons nous contenter d’un coca en terrasse d’un bar restaurant, à défaut d’une pinte de bière à présent prohibée… Le retour au monde réel est brutal et l’aventure est belle et bien terminée.
Ouverture de voies et… nettoyage
Vous l’aurez compris, le Bugey ce n’est pas Céüse ou les gorges du Verdon et l’ouverture dans cette région où le calcaire n’est pas urgonien mais souvent marneux est un combat de chaque instant. Le nettoyage des voies n’est pas optionnel pour garantir la sécurité, surtout dans le niveau 5c/6a. Les premiers ascensionnistes de Superstar en 2017 pourront témoigner des casses de prises, des chutes de pierres et de l’état des vires de relais encombrées de terre, de blocs et de pierres avant son nettoyage définitif en 2018. 3 ans plus tard, « Superstar » est maintenant une voie classique sûre où plus grand chose ne bouge avec des relais sur des vires s’apparentant à présent à de belles terrasses propres, les parasols en moins. La voie est souvent parcourue chaque week-end de beau temps.
Nettoyer. Bien ou mal ? A chacun de juger où est l’acceptable mais il ne faut pas perdre de vue qu’une falaise équipée pour l’escalade sportive n’est plus un terrain naturel vierge… Malgré tout je pense que le nettoyage doit se faire dans le respect de la biodiversité : ne pas détruire les habitats de chauve-souris en purgeant systématiquement les écailles « douteuses » et en laissant au maximum les végétaux en place sur la falaise. De nombreux végétaux qui ont été élagués sur cette falaise du Bugey étaient des buis décimés par la chenille de la pyrale du buis en 2016 et 2017 et complétement morts.
Avant d’apprécier le « voyage », il faudra laisser passer quelques grosses précipitations mais c’est sans nul doute une future classique dans le 6a comme « Superstar » l’est dans le niveau 5. La voie est praticable dès maintenant mais de grâce, prenez une brosse, enlevez les prises fragiles (sans les jeter sur le casque des grimpeurs qui passent en bas ;-)) pour terminer le travail de nettoyage. Merci 🙂
La carte du « voyage sur la lunule »
Voici un topo temporaire de la voie fourni à titre informatif. Nous sommes en terrain d’aventure : le parcours de la voie se fait à vos risques et périls, attention aux éventuelles chutes de pierres. Voie non nettoyée : participez à l’entretien de la voie en emportant une brosse métallique.
Éthique d’ouverture : comme les autres voies de Narse, toutes les longueurs qui présentaient « un risque normal et raisonnablement prévisible » et qui ne nuisaient donc pas (trop) à la santé du leader ou du second au relais ont été ouvertes du bas.
Période idéale : toute l’année
… mais contrairement aux autres voies de la paroi, il faudra attendre 1 à 3 jours suivant la saison que la voie sèche après de grosses pluies car certaines parties en dalle résurgent. La voie est à l’ombre vers 16 heures en été.
Descente : la ligne de rappel (deux rappels : 30 m + 50 m) peut être utilisée dès à présent pour descendre de Superstar. Longueur minimum de corde en double : 50 mètres MINIMUM.
Topo-guide : pour découvrir les accès à la falaise, se reporter au topo-guide de la Roche de Narse (01). Le topo de la voie sera inclus dans la prochaine édition du topo en 2021. Les revenus du topo-guide sont reversés à 100 % à l’entretien et l’équipement de la falaise, n’hésitez pas à acquérir le topo papier pour tout savoir sur la falaise, le milieu naturel et soutenir le travail des bénévoles. Des journées d’entretien des sentiers d’accès et des voies d’escalade ont lieu chaque année, n’hésitez pas à vous manifester !
Équipement en place : à base de broches scellées dans L1 puis des goujons de 10 et 12 mm dans les autres longueurs. Relais en place, chaînés pour les rappels. L’équipement mis en place en 2019 et 2020 a été entièrement financé par les revenus du topo-guide.
Topo de la voie sur C2C : lien (attention : ce topo ne remplace pas le topo papier ;-))
Au top. Content d’avoir pu participer à l’aventure