Tenir ensemble… et en chier tous seuls
TENIR ENSEMBLE… c’est le message subliminal du gouvernement français qu’on voit partout, des panneaux lumineux sur l’autoroute jusqu’aux tweets d’Emmanuel Macron avec le désormais classique hashtag #TenirEnsemble. Le mot « ensemble » est important car je ne sais pas vous mais moi depuis le 30 octobre 2020, date du second confinement, je suis plutôt « seul », surtout en soirée.
Confinement, couvre-feu… un peu d’historique
Pour moi, la mémoire est importante car les moments vécus sont autant d’expériences qui nous permettent de nous « enrichir ». L’histoire, notre histoire personnelle qui est souvent liée à l’histoire du monde, nous construit et fait ce que nous sommes devenus génération après génération. L’histoire nous définit en quelques sortes.
Mars 2020 : le confinement #1. Nous sommes confinés le 17 mars 2020 pour une durée de presque 2 mois. Le périmètre de vie se résume alors à son domicile avec ou sans jardin, à la supérette pour faire ses courses et aux 1 km / 1 heure par jour autour de son domicile. Que vous soyez faible ou puissant, vous aurez accès à un T1 en ville sans balcon ou à une villa au bord de la mer avec piscine ou à un chalet à la montagne. Être tous confinés, c’est ce qu’on appelle « l’égalité » en France, peut importe où et comment. Tout le monde a accepté ensemble cette épreuve, finalement de courte durée, pour l’intérêt général et la santé des plus faibles. C’est un moment de solidarité historique !
Mai à octobre 2020 : le retour à la vie d’avant. Nous retrouvons la liberté le 11 mai 2020 à moins de 100 km de chez nous, puis le 2 juin 2020, on peut enfin se déplacer librement. La vie recommence « comme avant » le 21 juin 2020 avec le printemps et l’ouverture des terrasses et des restaurants. La fête de la musique est pourtant annulée cette année comme pas mal d’événements à cette période. L’été se déroule presque normalement même si le virus « circule ». La Covid-19 est visiblement de retour à l’automne 2020. 6 mois de liberté par an, c’est appréciable ! Lire mon article sur le blog sur cette période.
Octobre à décembre 2020 : fini la liberté sauf pour Noël. Le couvre-feu est effectif à Lyon depuis le 17 octobre 2020, au début c’était 21 heures pour limiter les soirées alcoolisées entre gens « irresponsables » souvent jeunes. Le 30 octobre 2020, un confinement très partiel est en place et durera jusqu’au 15 décembre 2020 où il est remplacé par un couvre-feu à 20 heures, histoire d’être rentrés pour le JT. Bizarrement, tout en fermant les stations de ski, euh… les remontées mécaniques, le gouvernement libèrent les Français à Noël et sans surprise le virus repart après les congés de Noël. Pas de surprise en cette fin d’année, mais pour le coup cette politique sent vraiment le sapin.
Janvier 2021. Depuis le 16 janvier 2021 le couvre-feu commence à 18 heures en soirée. Où est passé le 19 heures ? Y a-t-il si peu d’adeptes en France du journal des régions de FR3 ? On se demande encore. 18 heures, une bonne heure pour bien faire chier tous les commerçants qui fermaient à 19 heures et les consommateurs qui sont aussi des travailleurs et qui étaient bien contents de trouver une boulangerie ou une épicerie ouverte après le boulot. Le gouvernement doit avoir ses raisons, peut-être celles du cœur. En plus des masques dans l’espace public et en extérieur, le couvre-feu est LA mesure de l’État français pour lutter contre la Covid-19. Qu’il soit au bois ou aux énergies fossiles fioul ou gaz, extinction à 18 heures jusqu’à 6 heures. Ou presque… en témoigne les 11 cases de l’attestation dérogatoire. Oubliez la case « voir mes potes », « chanter dans une chorale » ou « faire du sport » en soirée, en revanche « bosser » c’est possible (case numéro 1 sur l’attestation). En journée, tout le monde ou presque se déplace, en témoigne les files de voitures ininterrompues à Lyon sur les périphériques et en ville… Depuis le 31 janvier, les centres commerciaux de Part-Dieu et de Confluence sont fermés (ouf !) mais le trafic routier n’a pas fléchi preuve que tout continue normalement (sauf la culture, le sport et les stations de ski) fermez la parenthèse. Le virus lui se maintient au même niveau entre janvier et mars 2021. A défaut de sommet, on nous parle de « plateau ». Magnifique sémantique, je ne sais pas pourquoi, je pense tout de suite au Mont-Aiguille et la naissance de l’alpinisme en 1492… La vaccination commence réellement le 17 janvier 2021 en France. Espoir, même si l’OMS nous dit que ce ne sera pas suffisant pour lutter contre le virus en 2021. Enfin beaucoup de gens semblent y croire et l’espoir fait… vivre.
Et le sport dans tout ça ? Seulement pour la télé
Côté boulot, dans le sport et la culture, y’en a plus beaucoup depuis octobre 2020 mais l’État dans sa grande bonté offre aux indépendants (professions libérales) passionnés le droit de prétendre à une allocation chaque mois depuis le mois de novembre. L’économie avant tout comme moyen de subsistance, avant la passion. Contrairement à une plante verte, un Français ne se nourrit pas seulement de CO2, d’eau et d’énergie solaire, il lui faut de l’argent pour se loger et se nourrir. On reste sur la base de la pyramide de Maslow, pour les étages supérieurs, on patientera. D’abord de 1500 € en novembre et décembre, le plafond des aides pour les moniteurs sportifs a été relevé à 10 k€ par mois depuis janvier 2021 grâce notamment au combat syndical à base de descentes de « flamme de l’espoir » des moniteurs de ski (merci aux « rouges » d’Eric Brèche au passage). En plein couvre-feu, on apprécie ce genre de symbolique ! A défaut de saison de ski (par gravité), les aides sont là, encore faut-il pouvoir justifier de sa situation financière, je vous passe les détails des calculs de CA basés sur 2019 (même si on est en 2021) qui permettent d’y accéder. Autant dire que depuis octobre 2020, un moniteur sportif, à défaut de travailler, fait beaucoup de sport pour s’entraîner aux frais du roi, ce qui est une situation plutôt confortable si on aspire à autre chose dans la vie que gagner de l’argent et qu’on supporte d’être « un assisté ». A défaut, il faut entreprendre une reconversion dans une autre activité autre que sportive, culturelle ou les bars de nuit.
Si le sport amateur est à l’arrêt presque complet sans installations sportives accessibles, on remarquera que, dans le même temps, le sport professionnel continue son parcours à grand renfort de droits audiovisuels : business is business. C’est connu, le sport amateur ne paie pas car il repose sur un réseau de clubs sous le statut d’associations loi 1901 gérées par des bénévoles. Les salariés des clubs sont au chômage partiel et les licenciés sont priés de patienter. Beaucoup de licenciés ne s’y retrouvent plus et ne reprendront sans doute pas leur licence en 2022. Le couvre-feu à 18 heures interdit la pratique du sport en soirée sous toutes ses formes : ne cherchez pas la case « pratique régulière d’un sport » sur la dérogation gouvernementale au couvre-feu : elle n’existe pas. Par contre, vous pouvez toujours aller faire un jogging à partir de 6 heures du mat avant d’aller bosser et si vous bossez 5 jours par semaine, il vous restent les week-ends (si vous n’êtes pas confinés).
Business is business : le culte de l’argent est-il la nouvelle religion ?
Après bientôt 2 mois de confinement entre 18 heures du soir et 6 heures du matin, on l’aura compris : tout ce qui n’est pas essentiel à l’économie n’est pas essentiel tout court. Culture, sport, être ENSEMBLE et voir des amis en soirée (avec masque bien sûr) : interdit ou presque, la solution de repli consistant à dormir chez ses amis. Je ne parle même plus des bars tellement ils sont fermés depuis longtemps (31 octobre 2020 : 4 mois et demi !). Quelques bars et de nombreux restaurants s’en sortent à peu avec de la vente à emporter quand c’est possible. On a bien veillé à enlever les tables et chaises des terrasses pour éviter les contaminations à l’air libre (relire l’avis du HCSP sur les causes de contamination, je cite : » dans l’environnement extérieur et les espaces ainsi que dans les environnements clos de grand volume, le risque paraît cependant très faible compte tenu de la dilution des aérosols viraux« ). Libre à chacun de se poser dans l’herbe pour profiter du soleil quand il y en a.
La situation des stations de ski me questionne depuis le début de l’hiver. Est-ce un règlement de compte politique contre les élus régionaux d’Auvergne-Rhône-Alpes et les maires des stations de montagne qui ne sont pas de la majorité présidentielle plus qu’un moyen de lutter contre la Covid-19 ? Aucun éditorialiste ne semble corroborer cette thèse qui frise le complot, j’avoue. La raison invoquée est souvent la traumatologie du ski (alpin) et les soirées raclettes arrosées « contaminantes » à 8 personnes alcoolisées au vin de Savoie et au génépi dans un studio de 10 m2 en station, on a tous la célèbre scène du fil dentaire dans la fondue des Bronzés font du ski dans la tête.
En attendant, on frise le ridicule en voyant que le téléphérique de l’aiguille (ndlr : du midi) ouvrira au printemps 3 mois après son homologue câblé italien qui a ouvert le 11 février 2021 (illustration ci-dessous). En Suisse, les remontées mécaniques n’ont jamais fermé de l’hiver. En France, même sans remontées et avec moins touristes, ce fut une bonne saison d’hiver pour certains professionnels de la montagne avec pas mal de neige fraîche, du ski de fond, de la raquette à neige, de traces à faire et de la glace. Côté revenus du travail : ils sont en baisse comme pas mal de monde en montagne cette année.
Pour revenir à nos moutons, bosser et consommer est autorisé. Un politique disait il n’y a pas si longtemps : « quelle est la différence entre un Séphora et un musée ? », en terme de risque de contamination : ?. La différence entre un office religieux et un concert assis ? Idem. Réponse : l’essentialité économique et le culte. Mais si on fait le rapide parallèle, jamais le culte voué à l’argent n’est apparu aussi clairement que dans cette période. Certains Français du nord de la France sont même privés de week-ends à la campagne depuis 2 semaines mais ils pourront toujours se contaminer au travail le dimanche. Le comble !
Car le maître mot de l’époque est bien « économie », souvent associé aux mots « pertes » dans les médias qui ne parlent pas trop de certaines valeurs boursières qui s’envolent depuis 1 an. Car oui, à bien y regarder, nous vivons dans une économie de marché et si certains s’enrichissent, c’est bien parce que d’autres s’appauvrissent, souvent « assistés » par l’Etat. Si Amazon, Netflix ou Über Eats ont le vent en poupe depuis 2 mois ou plus, c’est bien parce que les commerces locaux dégustent en soirée ou sont simplement fermés. Cette économie de marché détruit la planète Terre depuis plus d’un siècle en puisant des ressources gratuitement et créé des élevages intensifs d’animaux où le Covid est né (aux dernières nouvelles). Ce n’est pas un complot, la maladie de la planète a un nom : le marché global. Mais ça pas touche, nous ne sommes pas des « adeptes de la lampe à huile ». Si vous ne travaillez pas pour une entreprise du CAC 40 et que vous n’êtes pas lobbyiste pour l’industrie automobile ou aérienne, je vous conseille vivement de lire cette enquête de Basta! sur la convention climat citoyenne.
L’éloge de la fuite
A défaut de clients, après un hiver passé en grande partie sur les skis ou sur la planche avec les copains ou solo, à taper un peu de glaçon avec une touche de mixte, le printemps est là avant l’heure, c’est le moment de ressortir le perfo et de retourner sur les chantiers en falaise avec pour seule compagnie de quelques oiseaux rupestres : tichodromes, corbeaux et faucons, en cette fin d’hiver, les martinets et autres oiseaux migrateurs sont encore bien au chaud en Afrique, eux voyagent sans avions ni tests PCR. L’équipement des falaises pour l’escalade sportive est un loisir qui se pratique souvent seul, ça évite de balancer des cailloux sur les copains. Cela fait 5 ans maintenant que j’équipe régulièrement des voies pour le plaisir mais pour la première fois aujourd’hui je me suis demandé si quelqu’un allait vraiment grimper un jour sur les lignes que j’équipais vu que grimper comme beaucoup d’autres activités sportives est maintenant INUTILE.
Plus que jamais, il est nécessaire pour sa santé mentale de FUIR une société basée sur les concepts de profits et d’utilité pour en bâtir une nouvelle basée sur la santé, l’accomplissement de soi et le respect des autres, l’affection et l’amour. C’est une bonne période pour relire l’essai de 1976 d’Henri Laborit. Se sentir INUTILE à cette société de l’UTILE est plus que jamais la solution pour être heureux. En attendant il faut « tenir ensemble » nous dit-on et en chier tous seuls chez soi en soirée.
A lire pour prendre un peu de recul : une belle synthèse de 1 an de covid-19 par Mediapart, assez accablante pour les institutions et le pouvoir en place, avec des témoignages photos poignants avant/pendant la crise sanitaire.
Excellent article Eric, comme d habitude plein de bon sens, j apporterai un bémol sur les associations loi 1901 qui font une concurrence déloyale aux professionnels de la montagne , sous couvert du « on ne fait pas là même chose que vous » .Pour nous Aem , on nous impose la règle des 5 clients +1 encadrants pro, alors que la plus part des assos ( loi 1901) circulent à 10 ou plus grâce à leur diplôme fédéraux. La France avec cette loi a permis , l’accès au plus grand nombre au sport, par contre imposer aux professionnels de la montagne cette règle économiquement non viable et ne pas l’imposer aux associations est juste une irresponsable.
Salut Bastien, effectivement ce genre de concurrence « déloyale » existe dans pas mal d’activités de nature, j’en sais quelque chose puisque nous mêmes professionnels de l’escalade et du canyon sont souvent en concurrence des fédérations FFME et FFCAM pour les stages et l’encadrement de l’escalade. En effet, les associations sont souvent moins chères grâce à des subventions ou des allégement de charges. Plutôt que de diaboliser ces associations, on essaie de travailler avec, ce qui marche assez bien afin que tout le monde trouve sa place. Je pense que l’encadrement pro et les assoces peuvent cohabiter dans le meilleur des mondes 🙂 L’exemple que tu évoques est-elle la règle suite aux restrictions sanitaires ou pérenne ? Depuis 1 an, on est pas à une incohérence près en France ! Amitiés.