Vanlife et escalade vont-ils de pair ?
VANLIFE. Le débat refait surface de temps à autre. Camping cars, vans et autres fourgonnettes aménagées ont-elles leur place sur les parkings des sites d’escalade et dans le milieu naturel la nuit ? Réponse tout en contraste.
Vous n’avez peut-être pas échappé à la multiplication des camping cars, des fourgonnettes et des camionnettes aménagées sur les parkings des spots d’escalade à la mode. Phénomène de mode ou pratique ancrée dans la culture grimpe, ce qu’on appelle à présent la vanlife, littéralement la « vie en fourgon », pose question à certains aménageurs de sites naturels d’escalade et à certains riverains. A raison puisque les nuisances sont importantes : circulation automobile sur les voiries secondaires et les chemins, squats des parkings au détriment d’autres utilisateurs, déchets laissés sur place, pollution du milieu naturel par les déjections humaines, dérangement de la faune nocturne, etc.
La vanlife s’inscrit dans la culture grimpe depuis des décennies
Des années 70 à nos jours, les grimpeurs nomades ont élu domicile dans une camionnette aménagée ou dans un break. Pourquoi ? Parce qu’il est bien plus pratique et économique de pouvoir bouger de falaise en falaise grâce à un fourgon plutôt que de se déplacer en étoile depuis chez soi surtout si on habite à 4 heures de route du sud de la France.
Le temps d’un week-end ou pour des vacances, le concept du séjour en van reste le même : on grimpe et on pose le fourgon en pleine nature pour profiter de la soirée. Depuis peu, des entreprises de location de véhicules aménagés surfent sur la vague et vont jusqu’à communiquer sur des trips grimpe en van en sponsorisant des athlètes.
Grimper sur une falaise aménagée et topographiée pour des pratiquants étrangers à une région est une activité touristique
Cette vie nomade, la vanlife comme on la tague maintenant sur les réseaux sociaux, a toujours existé dans l’histoire de la grimpe moderne qui est marquée par des besoins de voyage, de découverte et de liberté au sein des dernières générations. Des besoins qui reposent sur l’escalade sportive, une activité de tourisme et de loisirs qui se pratique sur des falaises aménagées, équipées et purgées, et sur la consommation de ressources essentiellement pour les transports routiers et aéroportés.






Pourquoi la vanlife est si populaire
Le mouvement vanlife n’est pas nouveau mais il a pris ces dernières années une ampleur certaine. Véritable phénomène de mode, il fait l’objet de millions de vidéos youtube ou de publications sur les réseaux sociaux. La vanlife est souvent synonyme de liberté pour les adeptes de cette vie en camionnette aménagée, une vision qui a été exacerbée par les privations de libertés lors de l’épidémie de covid-19.
Même si la vanlife porte souvent les valeurs d’accès à la nature et de liberté, ce n’est ni plus ni moins du tourisme dans de gros véhicules à moteur thermique. Un paradoxe quand on voit comment la nature souffre du changement climatique et de l’appauvrissement des ressources induits par la fabrication et l’utilisation de ces véhicules.


Dans le milieu de l’escalade comme dans d’autres sports de pleine nature comme le surf, le kite ou le VTT, se déplacer de spot en spot et dormir dans son van a un côté pratique en limitant les déplacements en évitant de se déplacer en étoile depuis un lieu fixe. On occupe un parking quelques jours le temps de faire la croix en allant à la falaise à pied ou à vélo. Un comportement au final assez louable.


L’hébergement mobile a d’autres avantages. L’escalade en falaise est soumise aux aléas de la météo et pouvoir changer de spot en fonction des conditions météo est un vrai plus par rapport à un hébergement fixe. Un véhicule utilitaire aménagé permet de profiter confortablement des soirées et des jours de repos. On est aussi moins sujet aux intempéries que si on campait sous tente dans un camping. Loger en fourgon est parfois plus économique que de prendre une location, pas toujours. Pour toutes ces raisons, de nombreux grimpeurs ont privilégié ce mode d’hébergement pour pratiquer leur loisir préféré.


Les méfaits de la vie en fourgon aménagé
Si la vie en fourgon peut faire rêver les individus, elle comporte quelques inconvénients pour la société.
Un impact environnemental désastreux. Un véhicule utilitaire est plus lourd qu’un véhicule léger et ses émissions de gaz à effet de serre et les matières premières nécessaires à sa fabrication et son utilisation sont plus importantes à kilométrage équivalent. Passer la nuit en nature n’est pas sans impact sur la faune sauvage qui peut être dérangée. Des déchets sont parfois laissés dans des milieux sensibles.
Une saturation des parkings. Même si l’on ne laisse aucune trace de son passage en dormant en milieu naturel ou sur un parking, l’aspect visuel sur les parkings peut être dérangeant, d’autant qu’une camionnette prend plus de place sur un parking qu’un véhicule léger.
Certains riverains, utilisateurs des sites naturels et certaines communes peuvent être excédés par l’afflux de véhicules utilitaires aménagés ou de camping cars. Dans le Vaucluse, une campagne d’affichage de panneaux sur les parking d’escalade est en cours pour interdire les véhicules aménagés sur les parkings la nuit.
Des bénéfices réduits pour les territoires. La multiplication des véhicules aménagés ne favorise pas toujours l’activité économique d’un territoire. La vie d’un village se maintient grâce aux retombées économiques des hébergements, hôtels, campings et gîtes. Un afflux de visiteurs qui ne consomment que la nature et apportent des nuisances (déchets, camping sauvage) peut nuire à la vie locale. Cet argument est d’ailleurs utilisé par certaines communes lors d’interdiction de sites d’escalade comme à Saffres en Bourgogne.
Des sites d’escalade victimes de leur aura
Il faut faire le constat que la fréquentation d’un site d’escalade est proportionnelle à son intérêt et à sa mise en valeur. Si un site d’escalade apparait souvent sur des vidéos d’escalade de grimpeurs professionnels sponsorisés, il y a fort à parier que la fréquentation va augmenter. Réaliser un topo-guide d’escalade, qui plus est en plusieurs langues, va également fortement augmenter la fréquentation d’un site d’escalade. Ouvrir des voies dans tous les niveaux, y compris pour les débutants, décuple la fréquentation.
Si on prend l’exemple du site de Saint-Léger du Ventoux qui est mis régulièrement sur le devant de la scène par les médias spécialisés, par les athlètes et par des sponsors pour ses voies dans le 9ème degré dont la célèbre Supercrackinette, sa fréquentation a bondi en 20 ans. Une campagne de rééquipement, l’aménagement de nouveaux secteurs et la publication de 2 topo-guides en 2022 ont fini par augmenter la fréquentation jusqu’à un niveau record sur certaines périodes de vacances, de week-ends et de ponts.
Pour de nombreux sites d’escalade, l’offre d’hébergement à proximité directe (quelques kilomètres) n’est pas accessible (en quantité ou financièrement) ou ne correspond pas à la demande. Le recours à un véhicule aménagé est parfois nécessaire pour passer plusieurs jours sur un site naturel. De manière générale, les établissements de tourisme pouvant accueillir les véhicules aménagés sont fermés lorsque les sites d’escalade sont en conditions optimales : en début de printemps, en automne et maintenant de plus en plus en hiver. En été, c’est l’inverse, dans certaines régions très prisées, certains hébergements sont complets et les tarifications augmentent. A ces périodes, les véhicules aménagés se multiplient sur les parkings.
Quelles sont les solutions à l’afflux de véhicules aménagés ?
Comme toute activité touristique, le développement de l’escalade doit prendre en compte l’afflux de visiteurs. La spécificité de l’escalade est que de nombreux pratiquants sont équipés de véhicules aménagés. Ce paramètre est important à prendre en compte par les aménageurs. A la différence des utilisateurs de camping cars qui sont équipés de sanitaires, un des besoins fondamentaux des utilisateurs de véhicules aménagées est l’accès à des sanitaires et à de l’eau courante pour la toilette ou la vaisselle. Les visiteurs à la journée des sites naturels ont les mêmes besoins.
Un village comme Orpierre l’a compris depuis longtemps en développant une offre d’hébergement complète avec des gîtes, des chambres d’hôtes, une aire de camping cars et un camping à proximité du village en plus d’un centre UCPA. Un parking gratuit avec des sanitaires au centre du village au départ des sentiers d’accès aux falaises peut accueillir temporairement quelques véhicules.
A Margalef en Espagne, le village a mis en place il y a 10 ans un parking d’accueil pour les véhicules aménagés avec des sanitaires avec une petite contrepartie financière de la part des utilisateurs. Cet aménagement comblait un manque d’hébergement dans la région avec une multiplication des squats des propriétés privées par des campeurs.


En France, le site de Céüse s’est doté d’un parking pour la nuit en 2021 et d’un centre d’accueil la maison de Céüze avec des services de base sur l’ancien parking du col des Guérins : accueil touristique, sanitaires, douches et bac à vaisselle. Le stationnement nocturne de 20 h à 9 h y est payant du 15 mai au 15 septembre.
A Chateauvert dans le Var, les collectivités locales ont fait le choix d’interdire le stationnement des véhicules motorisés dans le Vallon Sourn qui est un espace naturel sensible. Des WC chimiques ont été installés il y a une vingtaine d’années en bas des secteurs d’escalade pour éviter la contamination de la rivière par les déjections humaines. L’accès aux falaises se fait à présent à vélo ou à pied. Un camping accueille les grimpeurs à Correns de mars à novembre.
A Saint-Léger du Ventoux, le Jardin Singulier accueille depuis 2 ans les véhicules des grimpeurs et offre la possibilité d’accéder à une librairie, à un jardin partagé, une salle de bain et une douche en adhérant à l’association pour un prix minimum de 8 € par an. L’accès aux secteurs de la face nord et de la face sud se fait maintenant à vélo depuis ce lieu. L’association Greenspits est à l’origine de ce projet qui est une initiative privée.
Tous ces aménagements prennent en compte les besoins limités mais essentiels des grimpeurs : l’accès à des sanitaires et à de l’eau courante.
En résumé : les démarches de développement de l’escalade sur un site naturel et de publication d’un topo-guide d’escalade doivent s’accompagner de la gestion de l’afflux de touristes pratiquants l’escalade à la journée ou qui ont choisi la vanlife pour séjourner à proximité direct des secteurs d’escalade.
Cette gestion peut être publique ou privée. Elle comporte l’aménagement de parkings, la gestion des flux des véhicules motorisés sur les voiries et les accès en transport en commun et en modes doux des sites naturels, l’installation au minimum de sanitaires et de points d’eau à proximité des sites de pratique accessibles à tous les utilisateurs, jusqu’à une offre intégrée de services minimums (stationnement, toilettes, douches) à un prix acceptable qui correspond aux touristes nomades. Des services de boulangerie, épicerie, restauration et bar sont un plus.
Cette gestion intégrée de l’escalade garantit des impacts réduits sur l’environnement, peu de gêne des riverains et la pérennité de l’accès aux sites naturels tout en garantissant des retombées économiques locales sur les commerces.
Finalement oui, si on fait bien les choses, vanlife et escalade vont de pair.