Ticker n’est pas jouer
Chaque séjour dans le Verdon est pour moi l’occasion de rebondir sur les petites habitudes pas toujours en accord avec l’éthique de la grimpe en falaise. Le week-end dernier il s’agissait des mégots de cigarettes trouvés ici et là aux relais d’une voie du secteur Troisième Ciel (lire l’article).
Cette semaine il s’agit d’une autre pratique qui peut en agacer certains mais ravir d’autres : les ticks, aussi appelé tickets, ces petits traits de magnésie laissés par des grimpeurs (sales ?) qui signalent les prises d’un passage en escalade libre. Si ces petites traces de l’homme sur le rocher ont fait leur apparition sur les falaises de France et d’ailleurs depuis plusieurs dizaines années, elles sont bel et bien rentrées dans la culture de la grimpe moderne, au risque d’en abuser.
ticker c’est bien, en abuser ça craint
J’ai été très surpris de trouver de véritables tickets de pieds dans une grande voie au Verdon. Mis à part dénaturer le rocher, à quoi servent-ils ? Ces prises de pieds ne sont-elles pas assez évidentes (cf. photos) ? Le problème est que ces marques de magnésie semblent répandues à tous les terrains de l’escalade, du bloc à la falaise en passant par la grande voie. Initialement utilisés en bloc pour marquer les prises cachées d’un gros jeté en aveugle ou dans un mouvement dynamique où l’arrivée sur la prise est déterminante pour la réussite du passage, les tickets se sont répandus à toutes les prises. Y compris les prises de pieds !
C’est à mon sens un changement de pratique dans l’escalade en milieu naturel. Le grimpeur de salle transcrit ce qu’il connait dans la nature : la voie comme étant une succession de prises à prendre. L’escalade se résume alors à suivre les prises de couleur sur un mur (ici les prises blanches).
L’escalade en milieu naturel est pourtant autre chose. Réussir une voie à vue impose de lire le rocher : trouver les prises, leur préemption et l’enchainement des mouvements. Ces affreux tickets nous indiquent tristement la combinaison des prises à suivre. Réussir une voie après travail nécessite de mémoriser les prises et la combinaison des mouvements. Les tickets sont de pauvres pense-bêtes pour les grimpeurs un peu étourdis ou trop taquet au-dessus du point pour se concentrer et se servir de leur mémoire. Que penser de tels enchainements ?
Il me semble que dans l’intérêt de tous, une pratique devrait également se généraliser : le brossage systématique des prises après un passage, afin que chacun puisse trouver en falaise ce qu’il recherche : un terrain de jeu vierge où le grimpeur pourra laisser libre cours à son imagination.
Eric Chaxel