Escalade au Mont Aiguille (Vercors) : le pilier sud
Le Mont Aiguille culminant seulement à 2086 mètres d’altitude est pourtant un des sommets emblématiques du massif du Vercors et des Alpes puisque sa cime, qui est en réalité un vaste plateau herbeux, ne peut être atteint qu’en utilisant ses mains : sans moyens aéroportés, le sommet est donc réservé aux alpinistes et aux grimpeurs. La première ascension du Mont Aiguille est d’ailleurs considérée comme l’acte de naissance de l’alpinisme. En 1492, la même année que la découverte de l’Amérique par les européens, les premiers hommes prennent pied sur le sommet : Antoine De Ville et ses compagnons empruntent une combinaison des voies actuelles Freychet et des Tubulaires.
Mont Aiguille : de l’alpinisme à l’escalade
Après l’ascension de 1492, il faudra patienter presque 350 ans pour qu’un homme réitère l’exploit d’accéder au sommet. Le 16 Juin 1834, le jeune Jean Liotard habitant de Trézanne, le village situé sous la montagne, arrive seul au sommet après avoir laissé ses compagnons sous les murs terminaux : la voie normale du Mont Aiguille était née.
Aussi surprenant que cela paraisse, alors qu’en l’Italie dans les Dolomites, les escalades sont déjà d’un niveau élevé dans les années 30 avec de nombreuses grandes voies rocheuses avec des passages d’escalade en V et VI, les massifs calcaires français voient seulement des ascensions comparables en difficulté pendant et après la seconde guerre mondiale. Comici, Detassis, Cassin, autant de grimpeurs qui excellent déjà en 1930 dans les Dolomites et dans les Alpes avec comme point d’orgue la réussite par Ricardo Cassin de l’ascension de l’éperon Walker aux Grandes Jorasses en août 1938. Dans la France d’avant-guerre des années 40, les grimpeurs sont avant tout des alpinistes. Il faudra attendre les années 50 pour que des itinéraires d’escalade difficiles soient ouverts sur cette montagne.
Le pilier sud du Mont Aiguille
La première voie du pilier sud du Mont Aiguille est tracé par la cordée Coupé et Cornaz en 1952. La sortie directe de la voie utilisée actuellement a été ouverte en 1958 et rejoint directement le grand cône d’éboulis bien visible au sommet de ce grand mur. La voie des étudiants à sa gauche a été ouverte en 1960 et celle des diables à sa droite en 1970.
Parmi les voies classiques de nos jours pour atteindre le sommet, le pilier sud tient une bonne place à cause de son esthétisme et de son orientation sud qui permet son parcours dans les périodes fraîches de l’année. Le rocher n’y est pas compact sur toute la longueur de la voie mais il peut être très bon par endroit. Les passages répétés ont certainement grandement améliorer les choses dans les zones de mauvais rocher depuis la première ascension. Cette voie est d’ailleurs devenue une grande voie d’escalade classique des préalpes avec un équipement assez abondant apparu au fil des années.
Descriptif de la voie
On ne compte plus les topos de cette voie, voici quelques retours personnels. La voie commence par remonter des rampes obliques en forme de Z sur 3 longueurs de corde (L1 à 3). C’est la première partie qui demande le plus d’attention car il y a peu ou pas d’équipement et malgré le caractère facile de l’escalade, la chute est interdite. Contrairement à ce qu’on peut lire sur les forums, la corde tendue n’est pas vraiment conseillée dans cette partie de la voie, une chute du second entrainerait une longue chute du premier de cordée… Pas de doute, il s’agit bien là d’alpinisme.
A mi-hauteur, les difficultés en escalade augmentent nettement, on passe sur du rocher plus ou moins bon mais sur un équipement mixte à base de pitons et de plaquettes spéléo plutôt rassurant. La première longueur des difficultés (L4) dans un mur jaune raide peu engageant se négocie bien sur de bonnes prises solides contrairement à leur apparence avec un équipement abondant. On arrive à un relais suspendu où les 2 points récents sont bizarrement placés, heureusement il reste un piton. La longueur suivante (L5) commence par une traversée suivie par une dalle qui m’a parue être un cran au-dessus, dans un niveau 6a, il faut bien gérer le tirage car le ré-équipement est bizarrement placé.
Depuis le relais suivant sur la terrasse (L6), après quelques mètres d’escalade, il faut traverser franchement à droite en direction d’une grosse vire caractéristique où se trouve le départ de la fissure déversante. Cette longueur de fissure (L7) est de toute beauté dans un style physique avec une bonne ambiance gazeuse. L’équipement y est très abondant. S’ensuit la dernière longueur (L8) qui sort dans le cône d’éboulis, encore une jolie longueur qui grimpe bien. On peut s’arrêter au relais intermédiaire sous le surplomb avant de traverser à droite vers le cône d’éboulis pour épargner au second de recevoir quelques pierres au relais situé pile à la verticale (j’ai testé)… La sortie au sommet par le cône (L9) puis le ressaut final (L10) sont plus du terrain montagne mais on trouve encore ici ou là des pitons.
Niveau matériel, un petit jeu de friends semble suffisant pour parcourir la voie, ce n’est pas l’équipement en place qui manque et lorsqu’il n’y en a pas on peut rarement placer quelque chose.
Cette ascension réalisée le 30 octobre 2021 en compagnie de Renaud correspondait à mon 5ème parcours de la voie, je ne sais pas pourquoi le sors a voulu que j’atterrisse à chaque fois sur cette voie… peut-être est-ce parce que c’est la plus belle sur cette montagne ?
Un sommet à visiter en cordée
L’arrivée sur le plateau sommital du Mont Aiguille est toujours un moment fort. Cette grande prairie perchée contraste avec la raideur des parois qui l’entourent. Il faut être un alpiniste ou un grimpeur pour monter là-haut et c’est ce côté inaccessible qui rend ce sommet si beau.
Au sommet nord, la vue sur le Grand Veymont, le plus haut sommet du Vercors avec ses 2341 mètres, est imprenable. La longue barrière des falaises à l’est du Vercors s’étire jusqu’à l’agglomération de Grenoble. Plus à l’est, on aperçoit le massif de l’Oisans avec le sommet des Écrins et la Meije, de futurs objectifs pour les apprentis alpinistes qui viennent de réussir l’ascension du Mont Aiguille.
Il ne reste plus qu’à descendre en empruntant la voie des tubulaires ouverte en 1922 et également voie de descente à ski (!) qui se termine par un magnifique rappel de 40 mètres dans une gorge. Inoubliable. Nous croisons plus bas des grimpeurs qui montent le bivouac dans de gros sacs de randonnée pour passer une nuit au sommet, quel courage de porter duvets, eau, nourriture et les couches de vêtements nécessaires pour passer une nuit là-haut à cette période de l’année !
Le seul bémol à cette belle ascension est l’équipement moderne et abondant rencontré à la descente qui cause des chutes de pierres lorsque plusieurs cordées l’utilise. Main-courantes en câbles et nombreux relais chaînés sont apparus ces dernières années : fallait-il en arriver là ? Ce sont sans doute des symboles d’une fréquentation estivale intense. Le Mont Aiguille a toujours eu du succès par le passé, peut-être est-ce inutile d’en rajouter ?
Si vous cherchez un guide pour vous accompagner sur les belles parois calcaires des préalpes, n’hésitez pas à me contacter sur le blog ou sur le site Équilibre Vertical.