Alpinisme

Mont-Blanc : par l’arête de Tricot et l’aiguille de Bionnassay

De toutes les arêtes qui montent au Mont-Blanc depuis la vallée de l’Arve, il y en a une qui est un peu oubliée des alpinistes : c’est l’arête de Tricot. Cette arête prend naissance dans le val Montjoie au-dessus du hameau de Bionnassay sur la commune de Saint-Gervais et s’élève depuis le col de Tricot à 2120 mètres en passant par plusieurs pointes jusqu’à l’aiguille de Tricot à 3665 mètres. Bien à l’écart de l’agitation de Chamonix, cette arête permet de rejoindre, sans remontées mécaniques et sans refuge, le sommet de l’aiguille de Bionnassay qui culmine à 4052 mètres puis le sommet du Mont-Blanc à 4809 mètres.

Lire l’article sur l’ascension du Mont-Blanc

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L’arête de Tricot vue du refuge de tête rousse et du nid d’aigle avec les sommets et les bivouacs

Sur cet itinéraire d’accès au Mont-Blanc, on ne trouve aucun refuge, si on excepte celui de Plan Glacier sur le versant Miage de l’arête, et le rocher n’est pas d’une qualité exceptionnelle, ce qui n’a pas fait sa renommée. C’est en revanche une magnifique course d’arête à faire bivouac sur le dos pour les alpinistes qui aiment la solitude… avant de retrouver la foule sur l’arête de Bionnassay puis sur la voie normale du Mont-Blanc au dôme du Goûter. Voici un petit récit de notre (tentative de l’)ascension intégrale de l’arête de Tricot jusqu’au Mont-Blanc avec Wayne, une course réalisée sur 3 jours en juillet 2020 en préparation de l’ascension d’une autre arête intégrale du Mont-Blanc, celle du Brouillard versant italien.

Cotation : cette course est plus difficile que la traversée de l’aiguille de Bionnassay depuis le col de Miage (cotée AD), par sa longueur, son engagement et ses difficultés techniques avec des pentes de neige raides. Je proposerais donc une cotation de AD+.

Jour 1 : Bionnassay/col de Tricot/le brouillard et le refuge de plan glacier

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Une arête qui commence par du brouillard… la thématique est bien là

Notre ascension intégrale de l’arête de Tricot en 3 jours en bivouac débute au hameau de Bionnassay à 1400 mètres d’altitude. La première journée aura été un peu perturbée par le mauvais temps qui ne nous a pas permis de bivouaquer comme prévu au col de Tricot à 2120 mètres mais nous a forcé à trouver refuge à Plan Glacier à 2680 mètres. L’accueil au refuge par les gardiens Annabelle et Yann est chaleureux malgré la grisaille ambiante ce jour-là. Nous prenons les 2 dernières places vacantes sur les 8 que compte le dortoir avec les mesures Covid et nous dormons au sec ce soir dans nos duvets. Météo France nous avait prévu une soirée et une nuit étoilée, il aura fallu attendre l’éclaircie un peu plus longtemps que prévu !

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Jour 2 : refuge de plan glacier / pointes centrale et supérieure / aiguille de Tricot (3665 mètres)

Retour du soleil. Depuis le refuge de Plan Glacier, nous ne rejoignons pas l’arête de Tricot par la brèche Chapeland comme indiqué dans le topo de Pierre Gourdin mais nous redescendons en direction du col de Tricot sur 1 km pour remonter à droite le couloir de la chèvre qui nous amène entre les pointes inférieure et centrale de Tricot (1h30). Nous évitons ainsi la première partie de l’arête non grimpante mais faisons aussi l’impasse sur « l’intégrale » de Tricot.

Nous commençons la traversée de l’arête à 7 heures du matin avec l’arrivée du soleil sur la crête. L’escalade des pointes centrale (3061 mètres) et supérieure (3221 mètres) ne présente pas de difficultés à part quelques passages plus raides, dont un au niveau d’un petit gendarme en très mauvais rocher, qui alternent avec quelques passages de marche. Les choses se corsent un peu après la pointe supérieure où quelques gendarmes barrent le chemin. On les contourne au mieux. Les difficultés en escalade de l’arête restent limitées (max III) mais certains passages sont en rocher assez moyen, voire pourri. Nous atteignons la brèche Chapeland vers midi (5 heures pour parcourir ce premier 1,5 km d’arête).

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Wayne et le rocher pas si mauvais par endroit de l’arête de Tricot

De la brèche Chapeland à 3206 mètres, la montée à l’aiguille de Tricot à 3665 mètres ne présente pas de difficultés techniques importantes avec la neige encore bien présente. Un peu d’escalade à 4 pattes dans des cairns et un peu de cramponnage dans des pentes à 45 degrés nous mènent à l’aiguille de Tricot vers 14 heures (1h30 de la brèche). Nous décidons de ne pas bivouaquer sur la croupe de neige de l’aiguille mais nous montons de 100 mètres en direction de l’arête de Bionnassay pour creuser un bivouac sur l’arête.

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Au sommet de l’aiguille de Tricot, l’aiguille de Bionnassay à droite et le dôme du Goûter à gauche

Nous aurons l’après-midi entier pour contempler la vue sur la vallée de l’Arve et sur le sommet de l’aiguille de Bionnassay tout proche. A notre droite, le refuge du Goûter nous fait des clins d’œil lumineux et en bas à gauche nous apercevons le refuge Durier au col des Miages.

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l’incroyable vue du bivouac au-dessus de l’aiguille de Tricot à 3700 mètres d’altitude : en face le massif des Aravis filtre les derniers rayons du soleil
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« first class » bivouac sous l’aiguille de Bionnassay : mon emplacement en rocher est meilleur que celui de Wayne creusé dans la neige

Jour 3 : aiguille de Bionnassay (4052 mètres) et sommet du Mont-Blanc 4808 mètres

Nous partons du bivouac de nuit vers 4h30 du matin. Plus bas, les frontales des alpinistes partis du refuge Durier vers 3 heures sont déjà dans le ressaut rocheux de la voie normale de l’aiguille de Bionnassay.

Armés seulement d’un piolet, la pente de neige sous l’arête de Bionnassay aura été pour nous le passage le plus technique de la course avec une inclinaison de 50 degrés par endroit qui demande de la concentration. Juste au-dessus du bivouac, nous quittons l’arête pour contourner par la gauche le ressaut rocheux où bute l’arête, ce dernier ressaut nous a paru beaucoup trop raide à escalader ! Nous pénétrons alors dans l’immense face nord de l’aiguille de Bionnassay. Par chance, à la faveur d’une nuit fraîche et d’un ciel dégagé, la neige est bien regelée ce matin là et les pointes avant des crampons mordent bien. Les anciennes traces sont effacées et je refais patiemment des marches quand c’est possible. Nous débouchons après une centaine de mètres sur l’arête au-dessus du ressaut rocheux et la pente diminue. La dernière pente de neige 100 mètres sous le sommet est plutôt à 45 degrés et m’autorise à prendre une photo. La tension retombe et on profite de cette magnifique pente de neige perchée bien au-dessus de la vallée de l’Arve. Ce sera mon plus beau souvenir de cette course. Nous atteignons le sommet de l’aiguille de Bionnassay juste avant 6 heures du matin où nous rejoignons les cordées parties du refuge Durier (1h15).

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après le passage raide en face nord, la pente se couche et permet de poser sereinement pour la photo avec l’arête de Tricot en-dessous, tout en bas on aperçoit le val Montjoie et l’arête du Mont Joly

Ce jour-là, je foule pour la cinquième fois de ma vie le sommet de l’aiguille de Bionnassay à 4052 mètres d’altitude. La suite m’est alors familière : on rejoint la traversée de Bionnassay, en remontant au piton des Italiens puis en atteignant le dôme du Goûter, le refuge Vallot et le sommet du Mont-Blanc par l’arête des Bosses (3h30)… nous sommes redescendus par la voie normale du Goûter jusqu’au nid d’aigle avant de rejoindre le col de Voza en train puis le hameau de Bionnassay (5h30).

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au sommet de l’aiguille de Bionnassay avant le lever du jour à 5h45
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le sommet du Mont-Blanc est atteint le 5 juillet 2020 à 9h30

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