Filière professionnelle escalade et TFP : un manque d’ambition ?
L’annonce d’un nouveau diplôme « TFP » a fait l’effet en 2022 d’un coup de tonnerre dans le milieu de l’encadrement professionnel de l’escalade. En juin 2022, la FFME annonce travailler sur un nouveau diplôme : le Titre à Finalité Professionnelle (TFP) dans un communiqué de presse commun avec l’Union Sport et Cycle (USC) et l’Union Des Salles d’Escalade (UDSE). Ce diplôme va se rajouter à la longue liste des diplômes de « moniteur d’escalade ».
Après l’article sur le label QUALIGRIMPE, voici un article inspiré d’une autre table ronde du salon de l’escalade 2022 intitulée « BE / DE / DEJEPS / DESJEPS / BPAPT /BAPAAT / STAPS / CQP et maintenant TFP… vers un morcellement des compétences pour les futurs encadrants ». Réunissant les acteurs fédéraux FFME, FFCAM, FSGT et les syndicats professionnels de l’escalade, cette table ronde s’est largement étendue sur e nouveau diplôme TFP. A l’issue de cette table ronde, on ne peut pas dire qu’il y ai consensus sur la manière de concevoir une filière professionnelle de l’escalade en France. Éléments de compréhension.
De vives réactions de la part des syndicats professionnels des moniteurs
Le 7 juillet 2022, en pleine saison estivale, le syndicat majoritaire des moniteurs d’escalade le SNAPEC réagit dans un communiqué : convié à des réunions d’élaboration du diplôme, le SNAPEC n’aurait pas été écouté qualifiant ces réunions de « pseudo consultation d’apparat ». Rien ne va plus. La FFME fait paraître le descriptif de la formation dans un autre communiqué datant du 22 juillet 2022. Dans le même temps une pétition lancée par un autre syndicat de l’escalade le SIM ne rassemble que 2200 signatures, c’est dire que le sujet concerne peu de personnes qui pratiquent l’escalade. A la rentrée de septembre 2022, une journée de grève nationale a été décidé par le syndicat majoritaire de l’escalade.
Pourquoi un TFP ? pour combler un manque d’encadrant et créer un parcours de formation professionnelle
Du côté des syndicats d’employeurs et de la FFME, le constat est clair : il manque des encadrants. Dans le premier communiqué de la FFME on pouvait lire
En effet, accompagner la progression des licenciés au sein des clubs fédéraux est l’essence même de la FFME. Quant aux salles privées, elles ont besoin de moniteurs diplômés, capables d’animer et d’encadrer des prestations comme les anniversaires, les forfaits découvertes, les bébés grimpeurs, les séances loisirs des jeunes.
Puis
Voir un club qui se démène pour trouver les financements nécessaires à une embauche se trouver dans l’incapacité de recruter quelqu’un pour accompagner la progression de ses licenciés, c’est insupportable
Alain Carrière, président de la FFME
Le second objectif sur lequel insiste Marianne Berger de la FFME est de créer un parcours de formation professionnelle en offrant la chance aux encadrants de se former tout au long de leur carrière professionnelle en passant du CQP, au TFP pour aller enfin vers un des deux DEJEPS. Dans cette vision, on commencera en agent d’accueil en SAE pour aller vers du perfectionnement sportif et de la falaise sportive pour finir en terrain d’aventure ou en entrainement. La volonté de progresser professionnellement est louable dans un sport qui consiste à s’élever.
Un peu d’histoire des diplômes professionnels de l’escalade
Le moins qu’on puisse dire c’est que l’histoire des diplômes d’escalade en France est longue et tortueuse avec un phénomène franco-français : l’empilement des diplômes et des formations qui attestent de nombreuses compétences. Cette complexité nécessite une réelle expertise pour s’y retrouver d’autant que chaque diplôme a des prérogatives différentes en terme de support (SAE, escalade en falaise, escalade en milieu spécifique, grandes voies, terrain d’aventure et via ferrata) et de niveau (initiation, perfectionnement, compétition, etc.).
A l’heure actuelle, c’est pas moins de 8 diplômes en plus du diplôme de Guide de Haute Montagne qui permettent d’obtenir une carte professionnelle et d’encadrer l’escalade contre rémunération en France !
Pour s’y retrouver, tous les diplômes sont listés sur la page du PRNSN : diplômes escalade et prérogatives
Le diplôme le plus connu et reconnu a été pendant des années le « BE escalade » dont la dénomination plus pompeuse était le « Brevet d’État Éducateur Sportif de 1er degré option Escalade » avant la disparition de la formation en 2011. Le « Brevet d’État d’alpinisme option escalade » a été créé en 1986 et était à l’origine dispensé par l’école des guides de haute montagne, l’ENSA à Chamonix. Ce diplôme était limité à des sites naturels sous 800 mètres d’altitude. Ce premier BE sera suivi dès 1989 d’une filière spécifique et indépendante autour de l’escalade, avec la naissance du « Brevet d’État d’Escalade ». La limite d’altitude est portée à 1500 mètres en 1991 ce qui permet a des BE Escalade de partir à l’assaut de parois comme celle de l’Escalès au Verdon. En 1997, le BEES 2nd degré Escalade est créé.
Plusieurs diplômes apparaissent ensuite : le BPJEPS APT avec la spécialité Escalade « CS Escalade » et le BAPAAT. Ces diplômes sont destinés à la découverte et l’initiation de l’escalade en salle et en falaise sur des secteurs « découvertes » dans la nomenclature FFME.
Gros changement en 2003, une nouvelle loi autorise les titulaires des diplômes universitaires de DEUG, DEUST et Licence STAPS à obtenir une carte professionnelle (décret N°2004-893 du 27.08.2004 et de l’arrêté du 27.06.2005).
Ça se complexifie en 2011 lorsque la FFME créé le « DEJEPS Escalade » qui est un diplôme avec moins de prérogative que le feu BEES1 Escalade ! Dans la foulée le « DEJEPS Escalade en Milieux Naturels » est créé en 2012 et reprend les prérogatives de l’ancien BEES1 Escalade en écartant le canyoning qui fait l’objet d’un DEJEPS depuis 2006. Toujours limité à 1500 mètres, le DEJEPS Escalade ne permet pas d’encadrer en milieu spécifique : pas de grande voie, ni de via ferrata. La FFME assure la formation du « DEJEPS Escalade » alors que les CREPS assurent la formation du « DEJEPS Escalade en Milieux Naturels ».
En 2016, la CPNEF Sport créé le Certificat de Qualification Professionnelle « animateur escalade sur structure artificielle » (CQP AESA) pour l’initiation à l’escalade en salle de manière saisonnière (dans la limite 360 heures par an) puis avec un nombre d’heure illimité depuis février 2022.
Les diplômes fédéraux : une compétence bénévole au service de l’escalade
Les différentes fédérations de l’escalade (FFME, FFCAM, FSGT) ont chacune des diplômes fédéraux pour encadrer l’escalade. Les 2 diplômes les plus répandu dans les clubs affiliés à la FFME sont l’initiateur SAE qui permet d’encadrer en SAE et l’initiatieur escalade qui permet d’encadrer en sites naturels de type « sportifs » dans la classification FFME d’une longueur de corde. La FFCAM a des diplômes équivalents sans pour autant de passerelles entre les fédérations.
Des diplômes fédéraux de moniteurs permettent d’encadrer bénévolement dans les autres milieux (sites naturels « terrain d’aventure », grande voie, via ferrata, etc.).
Les formations aux diplômes fédéraux sont réalisés par des cadres fédéraux et des professionnels. En plus de différentes compétences, les niveaux techniques pour suivre les formations sont de 5c+ pour l’initiateur SAE et de 6b pour l’initiateur escalade.
L’encadrement professionnel risque de casser le bénévolat
Le mouvement sportif français est composé de nombreux clubs et fédérations (associations loi 1901) animés par des bénévoles. Ces bénévoles ont des fonctions d’organisation (président, trésorier, etc.) ou d’encadrement et de formation (initiateurs et moniteurs).
Si le besoin de moniteurs dans les salles privés semble être une revendication importante et légitime des employeurs, on a du mal à comprendre le besoin pressant de moniteurs rémunérés dans les clubs qui peuvent avoir recours à des diplômes fédéraux. Il est question de « déserts » sans moniteurs DEJEPS qui préfèrent encadrer dans des régions avec de nombreuses falaises.
On se demande si le recourt à des moniteurs rémunérés ne consiste pas à remplacer le bénévolat par des professionnels. Mais à quel coût ? En effet, avoir recours à un encadrement professionnel fait exploser le coût de l’adhésion à un club sur laquelle repose la rémunération des encadrants. Le recours à un maximum de bénévolat devrait être la norme de la plupart des clubs pour conserver une vraie qualité d’encadrement à un coût réduit. Un professionnel avec une formation de haut-niveau rémunéra pourra venir en appui de bénévoles sur des missions précises ou sur l’encadrement et la formation des encadrants bénévoles.
Alors qu’un titulaire d’un CQP AESA assure les mêmes fonctions qu’un initiateur SAE, le TFP est à l’heure actuelle une sorte de diplôme d’initiateur escalade avec les mêmes pré-requis mais qui pourra ouvrir à rémunération. Comme le suggère Niels Martin de la FFCAM lors de la table ronde, « ce nouveau diplôme ne risque-t-il pas de casser le bénévolat ?«
La filière professionnelle de l’escalade manque d’ambition
Le niveau en escalade a explosé en 20 ans. Les performances en compétition et en falaise sont passées des cotations 8 dans les années 80 aux cotations 9 depuis. Les SAE modernes sont des outils d’entrainement bien plus nombreuses et efficaces que ceux des années 90 pourtant la majorité des grimpeurs grimpent dans des niveaux ne dépassant pas le 6 ou le 7. Comment expliquer ce décalage ?
Les niveaux demandés pour entrer dans les formations professionnelles sont toujours les mêmes depuis 30 ans ou auraient même tendance à baisser comme le fait remarquer par une question Françoise Lepron, une monitrice BE escalade du public. Comment prétendre emmener un groupe vers la performance en salle ou en falaise lorsqu’on grimpe du 6c ou du 7a ? Comment faire rêver des générations de jeunes grimpeurs lorsqu’on n’a jamais ou peu posé un chausson en falaise ou en grandes voies ?
Quand on rapproche ces 2 aspects, on comprend que la filière professionnelle de l’escalade en France manque d’ambition. La fédération délégataire de l’escalade pourrait se concentrer sur encourager le bénévolat, pousser les diplômes et le niveau des pratiquants vers le haut si elle veut développer efficacement l’escalade et atteindre ses objectifs dans les compétitions internationales, JO compris. Au lieu de ça, elle forme des professionnels peu performants et faiblement qualifiés.
Quant aux salles privées, on comprend mal à l’issue de la table ronde le besoin d’encadrants avec des prérogatives d’encadrement en falaise. L’escalade en salle privée ne se résume pas qu’à des gouters d’anniversaire mais de là à emmener tous les clients en falaise, il y a un grand pas. Depuis février 2022, le nombre limite d’heures d’encadrement du CQP a été abrogé ce qui devrait faire les affaires des gérants de salles privées qui disposent à présent de moniteurs à plein temps.
L’apprentissage : tout le monde y gagne
Pour comprendre le besoin d’un nouveau diplôme qui divise autant, il faut aller chercher en off de la table ronde du côté des conditions de formation de ce nouveau diplôme : le TFP ouvre le droit au dispositif d’apprentissage fortement subventionné par l’État : la formation est payée par l’État et l’apprenti perçoit un salaire exonéré de charges salariales. Un détail important lorsqu’on gère un centre de formation ou lorsqu’on a besoin de main d’œuvre bon marché.
Pour conclure : le TFP un diplôme qui divise
Le moins qu’on puisse dire c’est que l’idée que se font la FFME et l’UDSE d’un nouveau diplôme ne fasse pas l’unanimité auprès des syndicats professionnels de moniteurs escalade, des CREPS et des autres fédérations sportives dont la FFCAM. La solution ne serait-elle pas celle d’un des participants qui lâche en fin de table ronde « il faut avoir de l’ambition ».