Accident de Vingrau : la FFME déclarée responsable… et après ?
Le jugement est tombé : sur son site la Fédération Française de la Montagne et l’Escalade (FFME) a publié un communiqué pour indiquer que la cours d’appel de Toulouse avait confirmé le 21 janvier le jugement du tribunal de grande instance de Toulouse prononcé le 14 avril 2016. Les médias de l’escalade qui ont diffusé l’info ne semblent pas avoir réagi : nous si et dans l’état actuel des choses on est assez pessimistes pour la suite.
A l’origine du jugement : l’accident d’escalade de Vingrau en 2010
Que sait-on de cet accident survenu le 3 avril 2010 sur le site de Vingrau dans les Pyrénées Orientales ? Un grimpeur en évoluant sur la paroi décroche un bloc de rocher. L’assureuse est très gravement blessée et l’assurance des pratiquants se retourne contre la FFME. La FFME qui avait signé une convention d’usage du site d’escalade avec la mairie de la commune de Vingrau est responsable du site d’escalade du fait des choses et malgré une tentative d’incriminer la communauté de communes pour avoir effectué une intervention sur le site en question, l’assurance de la FFME est condamnée à verser plus d’un million d’euros de dommage aux victimes. Dans ce cas précis, le juge a considéré que le décrochement de la pierre n’était pas de la responsabilité du grimpeur mais du gardien du site, la FFME, et a condamné l’assurance de ce dernier à verser des dommages et intérêts aux victimes.
Cette décision de justice implique que tout accident qui n’est pas de la responsabilité technique du pratiquant sur une falaise conventionnée ou non peut faire l’objet de poursuite contre la personne physique ou morale ayant la garde du site d’escalade. Si on considère qu’une chute de pierre peut être la conséquence de phénomènes sismiques, d’origine accidentelle (grimpeurs, animal, oiseau) ou liée aux phénomènes climatiques (eau, gel, vent), le gardien de la falaise pourra être reconnu comme responsable d’accidents indépendants de sa volonté. On est bien loin de la seule obligation de moyens qui pourrait incomber au gardien dans notre activité : affichage et fléchage, équipement aux normes, contrôle et entretien du site.
Remarque sur le port du casque en falaise :
Le port d’un casque n’est pas obligatoire pour des adultes en falaise sportive dans une pratique individuelle ou encadrée (lire les recommandations de la FFME sur le port du casque). Selon le niveau de risque, le grimpeur jugera utile ou non de se protéger d’une chute de pierre en portant un casque de préférence normé pour l’escalade (norme EN 12492). Autant dire qu’en cas de doute sur la qualité du rocher, le casque est vivement recommandé pour ne pas être victime d’un accident ou atténuer la gravité d’éventuelles séquelles.
Et la suite : la fermeture de certaines falaises
Et la suite ? Les 93 521 licenciés de la FFME (en 2017) attendent toujours une action efficace de la fédération sportive pour faire changer la législation qui a conduit à cette décision de justice : la responsabilité sans faute. Depuis cet accident, au niveau local, la FFME a pris les devants : on peut lire ici et là que plusieurs sites ont déjà été interdits par des arrêtés municipaux et parfois déséquipés dans certains départements. Les chiffres sur les falaises ne sont décidément pas un sujet sur lequel communique la fédération dans ses chiffres clés 2017.
Le jugement de la cour d’appel de Toulouse a un énorme impact sur la pratique de l’escalade en falaise. Pourquoi ?
Vers l’interdiction de l’escalade sur d’autres falaises
Devant cette menace juridique comment vont réagir certains gardiens : propriétaires privés et communes ? Simplement par des interdictions d’accès aux sites d’escalade en posant des panneaux et avec des arrêtés municipaux d’interdiction de l’escalade. En exemple, cette interdiction vient d’être prise le 14 février 2019 par le Maire de Chateauroux-les-Alpes dans les Hautes-Alpes (voir image à droite). C’est un exemple parmi des dizaines d’autres interdictions dans tous les départements de France où se trouvent des sites naturels d’escalade.
En absence de convention et si le gardien n’est pas assuré pour la responsabilité sans faute, cette décision de justice met évidemment en péril tous les itinéraires d’escalade « équipés » sur le territoire d’une collectivité locale car les responsables désignés par la justice en cas d’accidents sans faute seront à coup sûr les maires ou encore pire les équipeurs même bénévoles. Couennes, grandes voies, terrain d’aventure partiel, etc. seront déclarés dangereux, interdits et déséquipés.
De son côté la FFME a gelé les conventionnements et la solution actuellement plébiscitée par la FFME est de passer des conventions entre les propriétaires des terrains (privés et publics) et les collectivités locales disposant d’assurances adaptées : communauté de communes et d’agglomération, départements, etc.
Ce système conduit a une pression normative accrue sur une activité gérée jusqu’à présent majoritairement par des associations et grâce au bénévolat ce dont témoigne le récent rééquipement de la falaise de Saint-Léger du Ventoux.
Les grands gagnants : les assurances et les entreprises du BTP
Les grands gagnants de cette bataille juridique ce sont finalement les assurances, le secteur du BTP, les organismes de formation et certains professionnels. Les premières puisque leurs primes vont naturellement augmenter et les collectivités locales seront obligées de recourir à des extensions de garanties si elles veulent assurer les falaises dont elles ont la garde.
Les assurances demanderont des garanties aux collectivités et la pression normative incitera les collectivités à recourir aux services de professionnels et d’entreprises du BTP pour la sécurisation : formation aux travaux en hauteur pour les équipeurs bénévoles, pose de filets, purge massive, brochage systématique des zones de rocher suspectes, contrôles des ancrages, etc.
Sous la pression normative et financière, l’escalade en falaise risque de devenir un sport de nature très sécurisé assez loin de ses origines montagnardes…
Et des solutions existent ?
Vous êtes licencié FFME ? Agissez ! Saisissez le référent national FFME de votre région sur le site de la fédération : https://www.ffme.fr/escalade/page/falaises-et-sites-naturels-d-escalade-sne.html
Pour aller plus loin et découvrir les solutions alternatives pour l’escalade en falaise dans le futur, je vous conseille de vous plonger dans les 3 excellents articles de l’association Greenspits :
- Les Sites Naturels d’Escalade : entre rêve et réalité… – Greenspits
- La guerre des sites 2 : Le retour de la farce … – Greenspits
- La guerre des sites 3 : vers un « diplôme d’équipeur professionnel » pour les…
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